Terre Humaine

01 juin 2006

TH JUIN 2006 ENVOÛTANTE INDOCHINE



ENVOÛTANTE INDOCHINE


L’aventure française dans le Sud-Est de l’Asie fut un état fusionnel avec les peuples. L’Indochine, nous conquîmes son territoire, elle fit notre conquête. Attirance des occidentaux pour les sœurs asiatiques : Cochinchine, Cambodge, Laos, Annam, Tonkin. Hélas, même des guerres affreuses contribuèrent à cet envoûtement : rien ne fascine autant que la beauté malheureuse. Missionnaires martyrisés, marins vengeurs, explorateurs intrépides et impétueux. Urbanité naturelle et gracieuse des peuples. Le préjugé favorable à l’égard des visiteurs étrangers reste impressionnant. Grenier d’abondance : tabac, poivre, gingembre, canne à sucre, soie et surtout coton…
Nostalgie d’un passé qui n’est plus. Navigateurs parcourant les méandres du Mékong, long fleuve serpent au fertile delta, rêvant parfois de son origine ignorée. Tribulations du voyageur dans une nature hostile alternant avec des réceptions cérémonieuses dans les royautés des confins lao-birmans. Pirates avec leur chignon, leur mine patibulaire, leur sabre ou leur rapière brandissant la menace des pavillons noirs. Impératrice douairière. Sultan mahométan.

Paysages en mosaïque où l’eau et le ciel se reflètent l’un l’autre. Journées qui s’écoulent au rythme lent des buffles et des sampans. Villages sur pilotis en osmose avec la forêt.

Et la guerre arriva…. Puis les dictatures communistes…

Aujourd’hui, le dragon vietnamien se réveille, le tigre asiatique émerge de la dévastation et de la pénurie.
Certes, lutte et survit toujours le petit peuple ; celui qui avale sa soupe accroupi dans la rue, celui dont le dur individualisme du salariat moderne heurte les traditions familiales, celui qui vit toujours dans des logements dont le trottoir est la pièce principale. Celui des petits tailleurs qui copient six chemises européennes en une journée. Celui des pédaleurs de cyclo-pousse, avec lesquels il faut d’abord monter et après, pour l’adresse exact, on verra.

Saïgon mélange langueur des tropiques et dynamisme économique. Dans le bruit et la pollution de ses artères éclosent des boutiques Cartier, Mont Blanc, Hermès témoignant du ralliement au luxe mondialisé. Partout sur les trottoirs règnent les Nike et autres affreuses chaussures de « sport » en passe de devenir l’uniforme de tout l’univers. On en vient à regretter les « sandales Ho Chi Minh » des Bo Doi. Dans les avenues trop étroites, l’auto est perdante contre la masse des deux-roues qui l’encercle. Un seul engin à moteur peut être enfourché par trois générations d’une même famille. Et ce qui est nouveau, c’est l’expression des jeunes femmes qui se rendent au travail seules sur leur scooter. Quelques unes portent un petit masque contre la pollution. Elles foncent sur des trottoirs visqueux et puants, mais toutes sont impeccablement mises, mariant souvent talons aiguilles et ao dai (vêtement féminin traditionnel). Avec un air concentré, une volonté de parvenir au but sans perdre de temps. Le soir, elles font leurs emplettes dans les magasins de la chaîne internationale Métro ou dans les boutiques du centre commercial Diamond Plazza.

Thu Tien, future extension urbaine sur l’autre rive de la rivière Saïgon, à l’horizon 2020. Reliés à l’actuel centre-ville par un tunnel ou un gigantesque pont aérien, plus de 700 hectares de rizières seront transformés en bureaux, commerces et logements. Cultiver le riz, c’est un travail dur, pieds dans la boue ; pourtant il s’en dégage une impression d’harmonie, d’âge d’or. De vieux paysans se préparent sans plaisir à la prochaine arrivée de la spéculation immobilière dans le delta.

Encore quelques années et, à leur manière tranquille et inventive, les Vietnamiens auront réussi la plus souriante des sorties du communisme.

Charles Trompette



Viet Nam de l’Avenir
Viet Nam de la jeunesse. Cette jeunesse qui, le soir tombé, sillonne les avenus de Saïgon, perchée sur les Honda.
Viet Nam de la soif de vivre.
Viet Nam de My Tam. Idole des jeunes Vietnamiens. Elle chante l’avenir radieux de ceux qui n’ont pas connu la guerre.
My Tam, icône d’une jeunesse ambitieuse qui vend et achète sur les trottoirs de Saïgon, des sacs Louis Vuitton de contrefaçon.
My Tam, fer de lance publicitaire de Pepsi, dans un pays dont le billet vert et l’American Express font, aujourd’hui, plus aisément la conquête qu’autrefois, les escadrilles de B52.
My Tam, star d’un Viet Nam moderne : voix rauque, hanchements à la Shakira, bête de scène moulée dans des tenues sexy qui remise au musée des horreurs perdues l’austère tenue gris-vert des Bo Doi. Sur les affiches publicitaires d’une marque américaine My Tam fait la nique à l’Oncle Ho.
My Tam, symbole d’un Viet Nam où elle construit sa réussite à force de travail et de professionnalisme.
My Tam, star admirée d’un Viet Nam où les deux tiers des 82 millions d’habitants ont moins de 30 ans.
My Tam qui raisonne comme une femme d’affaires.
My Tam qui monnaie son image d’icône de la jeunesse avec Pepsi, Unilever, Honda… marques étrangères surfant sur l’émergence d’une société de consommation.
« Le Capital », accessoire dérisoire du vieux Karl Marx dans un régime - qui n’a plus de communisme que le nom - où triomphent capitalisme et libéralisme, cette fois, sans contrefaçon.
My Tam reprend à la sauce pop « Len Dany » (Allons-y). De ce chant guerrier de la jeunesse communiste, elle fait un message d’espoir dans le développement du Viet Nam. « Construisons ensemble un avenir radieux pour notre pays. Nous ferons de notre mieux pour montrer au monde nos talents. Jeunesse communiste, tenons-nous debout, épaule contre épaule, et ne craignons pas le danger. Suivons l’exemple de nos ancêtres et de leurs victoires héroïques. Allons-y et chantons fièrement. »
Le futur du Viet Nam émergeant s’annonce étincelant : peuple jeune, peuple courageux, travailleur et intelligent ; il sourit à l’avenir qui le lui rend bien.

Décollage économique
Le Viet Nam sera le pays d’Asie du Sud-Est connaissant la plus forte croissance en 2006 – c’était déjà le cas en 2005 – et le restera vraisemblablement en 2007.
Cette prévision de la Banque asiatique de développement (BAD) est toutefois assortie d’un certain nombre de conditions : celle, notamment que les autorités de Hanoï continuent d’adopter des mesures – de transparence économique en particulier – compatibles avec leur candidature, en cours de négociation, à l’Organisation mondiale du Commerce.
Le Viet Nam a découvert que son admission au sein de l’OMC serait plus difficile à négocier que prévu même si, officiellement de part et d’autre, on proclame que le processus est dans sa phase finale.
Le décollage économique du Viet Nam, en cours depuis six ans, s’est illustré par une croissance de 8,4% en 2005. Elle devrait friser 8% en 2006 et dépasser ce chiffre en 2007.
Certaines valeurs vietnamiennes s’arrachent à la Bourse de New York à raison de six fois leur plancher de mise en vente, les exportations sont à la hausse (25 milliards d’euros), de même que l’investissement étranger direct. Ceci n’a pas empêché le premier ministre, Phan Van Khai, de lancer un avertissement sévère en 2005 : « La productivité est faible et ne s’accroît que lentement, les investissements sont peu efficaces et les coûts de production et de distribution sont trop élevés. »
Un analyste vietnamien écrivant pour un site Internet relevant du ministère du commerce en a rajouté dans une rétrospective sur l’année : « Par rapport aux autres pays de la région, on peut dire que la situation du Viet Nam n’a guère progressé. Une compétitivité basse, la corruption et les inadéquations du système juridique n’ont connu, semble-t-il, aucune amélioration. »
Près de trente agences bancaires étrangères opèrent désormais au Vietnam.

Un Viet Nam conquérant
Pour Ly Qui Trung la soupe est bonne. Elégant, 40 ans, anglophone, fan de tennis et de golf, amateur de bonne chère : il est l’un des symboles de la nouvelle génération d’entrepreneurs qui veulent faire le succès du Viet Nam. Avec sa famille, il a fait du « pho », emblème de la gastronomie de la rue, le fer de lance d’une chaîne de restaurants modernes. La société Pho24 part à la conquête de l’Asie et bientôt des Etats-Unis et de la France.
Le « pho », la soupe traditionnelle, est aussi populaire pour les Vietnamiens que le hamburger pour les Américains. Il se consomme à toute heure du jour et de la nuit, aussi bien au fin fond des campagnes qu’aux coins de rue de toutes les villes du pays. Trung parie sur l’évolution du comportement de ses compatriotes, de plus en plus demandeurs d’hygiène, de confort et de décor.
Il est midi à Ho Chi Minh-Ville. Au cœur de cette cité, dans le quartier du marché de Ben Thanh, des flots d’employés se précipitent dans les cantines qui pullulent sur les trottoirs pour avaler un bol de « pho » (prononcer « feu »). Baguettes à la main, ils oublient le vacarme des milliers de motos qui déferlent dans la rue et saturent l’air d’effluves de pots d’échappement. Une minuscule roulotte vitrée, une poignée de tables pliantes en métal d’à peine 50 centimètres de hauteur et quelques tabourets en plastique rouge ou bleu : le vieux Saigon existe toujours.
A quelques mètres, une enseigne intrigue : Pho24 (24 ingrédients, 24 heures de préparation). Une fois la porte poussée… Bienvenue dans le XXIème siècle ! Ici, le pho se déguste dans un savant décor mêlant design et lanternes asiatiques, et une ambiance climatisée bien loin des 35°C torrides qui règnent dehors. Transformer le fleuron de la gastronomie de la rue en un concept moderne, l’enseigne Pho24 – lancée en 2003 – était, à la base, une petite révolution. Aujourd’hui, elle est bien plus que ça : le symbole d’une success-story à la vietnamienne. La chaîne compte désormais 24 établissements au Viet Nam – une centaine est prévue pour fin 2008 – et deux à Jakarta. Cette année, elle part à l’assaut de l’Australie, de Singapour, de la Malaisie, des Philippines et même de la Chine. Dans sa ligne de mire, figurent ensuite les Etats-Unis et la France, et d’ici cinq ans, une entrée en Bourse.

Le mystère du pho
Un bouillon où se mélangent nouilles de riz, viande émincée, herbes et épices, parfois des pousses de soja : c’est ça, le pho. Ou plutôt sa recette de base, car ses ingrédients et sa saveur évoluent au fil des régions. Assez sucrée et grasse au Sud, elle est plus salée au Nord. Symbole de l’art culinaire de la rue, ce plat très fin se déguste depuis l’aube jusqu’au crépuscule. Certains gastronomes y décèlent des origines chinoises, d’autres, l’influence du pot-au-feu cuisiné par les colons français. Mais aucune explication n’éclaircit totalement le mystère. Une pincée d’idées prises ici, une goutte d’inspiration ailleurs, et le Viet Nam s’est inventé un mets unique.

L’Ao Dai
Devenue l’emblème du Viet Nam à l’étranger, la tunique à deux pans a traversé les frontières culturelles et inspiré les grands créateurs.
A la terrasse du mythique hôtel Continental dans « Un Américain bien tranquille », Graham Greene écrivait : « La tunique traditionnelle : « Ao Dai », que portent les femmes vietnamiennes, est l’habit le plus sensuellement troublant de tous les habits féminins. » Ceux qui voyagent au Viet Nam retiendront l’image de la fière élégance des femmes habillées de ces longues tuniques, virevoltant dans la dense circulation de Saigon. Des jeunes filles en blanc à la sortie du lycée, des employées de bureau en bleu ciel, des bourgeoises en jaune royal. En soie délicate ou en coton imprimé, les couleurs de l’Ao Dai varient selon les saisons, le moment de la journée ou l’occasion. Elles insufflent une touche de grâce dans un monde urbain quelque peu déjantée.
La politique gouvernementale « Doi Moi », le renouveau, l’ouverture de l’économie, a impulsé, dès 1990, le retour de l’Ao Dai, lié à la réapparition de la classe moyenne comme affirmation d’une fierté nationale retrouvée après des années de misère. Dans ce sillage, de jeunes stylistes misant sur le haut de gamme ont commencé à bousculer les codes. Ils mixent l’Occident à l’Extrême-Orient, manient les nouvelles matières textiles et remettent au goût du jour la soie artisanale, longtemps délaissée au profit des fibres synthétiques.
« Cette tunique tricentenaire est un emblème national mais elle se doit d’être aussi dans le vent pour séduire de nouvelles générations de femmes » précise la créatrice Minh Hanh.
Des stylistes qui rêvent de conquérir le monde. Une utopie ? Eux y croient dur comme fer.

Un pan d’histoire
« Ao Dai » signifie « robe longue ». Cette tunique fut créée en 1744 sous la dynastie des Nguyen qui la décrétèrent costume national. Jusqu’aux années 30, elle était composée de quatre pans et portée par les femmes de condition modeste ; la structure de la tunique obéissait aux principes du Yin et du Yang. Les bourgeoises s’habillaient en cinq pans, représentant les cinq éléments de la vie : métal, bois, eau, feu et terre. La matière et les motifs indiquaient également l’origine sociale et la richesse de celle qui la portait. La forme classique à deux pans, comme nous la connaissons à présent, est apparue vers 1930 et n’a cessé de se métamorphoser au gré des tendances : longue, courte, transparente, décolleté… suivant qu’elle était influencée par l’Occident colonial, la période hippie ou la stricte morale communiste après la fin de la guerre d’indépendance, en 1975.

Terre Humaine
« La liberté de tout dire n’a d’ennemi que ceux qui veulent se réserver le droit de tout faire. »
Marat


« On ne peut pas dire la vérité à la télé : il y a trop de monde qui regarde. »
Coluche