Terre Humaine

06 juillet 2007

TH JUIN 2007 : LE COMMERCE DE LA MISERE



Le commerce de la misère


Le commerce équitable s’inscrit-il « dans une approche tiers-mondiste, caritative et misérabiliste, une sorte de vente de charité – mondialisée, comme le commerce classique – entre les pays du Nord et ceux du Sud ? » Aujourd’hui, il est de bon ton de dénigrer le commerce équitable, de lui reprocher de ne pas être intégralement éthique, de ne pas avoir les mains pures, de servir de bonne conscience à vil prix, de servir de caution morale à la grande distribution.
Ce sont des chrétiens hollandais qui ont commencé en 1957 à pratiquer le commerce équitable. Nous avons repris cette idée au début des années 70 en créant la fédération Artisans du Monde et en ouvrant des boutiques où nous pratiquions un commerce alternatif à la distribution traditionnelle. En 1985, nous vendions 30 tonnes de café alors qu’il s’en consomme plus de 330.000 tonnes en France et qu’une coopérative de petits paysans guatémaltèques en produit environ 500 tonnes. Aujourd’hui, grâce à Max Havelaar, le café arabica équitable représente 8% de part de marché, le quinoa 10%, la banane biologique 36%...
Le commerce équitable n’a jamais eu la prétention de résoudre tous les problèmes, n’a jamais promis le grand soir dans la distribution mondial… Son objectif est de permettre à de petits agricultures de rester sur leur terre, de vivre dignement de leur travail : ni misérabilisme, ni charité. Tiers-mondiste, oui. Altermondialiste, oui. Le commerce équitable est une espérance pour les plus pauvres.

« Moi qui n’ai jamais eu la chance d’aller à l’école, je veux que mes enfants soient instruits. Grâce au prix équitable qui nous est payé, ils sont scolarisés. » Laljibhai Narranbhai, producteur de coton.

« Auparavant, nos revenus étaient irréguliers. Avec le commerce équitable, nous ne sommes plus soumis aux fluctuations du marché. Non seulement le prix est garanti, mais les paiements sont stables, nos commandes étant fixées à l’année. » Felipe Cancari, producteur de cacao.

Vae victis ! Malheur aux vaincus ! Cette formule empruntée à l’empire romain illustre le système libéral qui régit les échanges internationaux. Les plus faibles, les plus pauvres, les plus marginalisés, les « vaincus » doivent payer. L’avenir appartient aux plus forts et aux plus compétitifs. Le commerce équitable est une contestation de cette logique qui continue de « dépouiller » les paysans du Sud.


Charles Trompette



Décroissance… des inégalités et de la misère.



Croissance, croissance, croissance ! Economistes, politiques, entrepreneurs, journalistes, tous n’ont que ce mot à l’esprit quand il s’agit de parler des solutions à apporter aux maux de la société. Souvent, ils oublient même que leur mot fétiche n’est qu’un moyen, et le posent en objectif absolu, qui vaudrait par lui-même.
Cette obsession, qui rassemble la droite et la gauche, est aveugle à l’ampleur de la crise écologique : changement climatique, mais aussi crise historique de la biodiversité et contamination chimique de l’environnement et des êtres. C’est que l’instrument qui sert de boussole aux responsables, le PIB (produit intérieur brut), est dangereusement défectueux : il n’inclut pas la dégradation de la biosphère.
L’obsession de la croissance est aussi idéologique, car elle fait abstraction de tout contexte social. En fait, la croissance ne fait pas en soi reculer le chômage. Entre 1978 et 2005, le PIB en France a connu une croissance de plus de 80%. Dans le même temps, non seulement le chômage n’a pas diminué, mais il a doublé, passant de 5 à 10%. Malgré une hausse du PIB mondial de 5% par an, le chômage ne diminue pas.
L’élévation du PIB ne fait pas reculer la pauvreté ni l’inégalité. En réalité, l’invocation permanente de la croissance est un moyen de ne pas remettre en cause l’inégalité extrême des revenus et des patrimoines, en faisant croire à chacun que son niveau de vie va s’améliorer.
Une piste nouvelle est de viser la réduction des consommations matérielles, c'est-à-dire des prélèvements que nous faisons sur les ressources naturelles.


Le cynisme d’un monde sans Dieu, où seuls le pouvoir et le profit compte.



Le livre Jésus de Nazareh de Joseph Ratzinger est à la fois un commentaire original des Evangiles et un essai dénonçant sévèrement la responsabilité de l’Occident dans des drames comme la faim dans le monde et le « dépouillement » de l’Afrique.
A propos de la tentation de Jésus au désert – Satan lui demande de transformer « la pierre en pain » (Luc 4.3) – le pape écrit : « Quelle chose est plus tragique et contredit plus gravement la foi en Dieu et la foi dans le Rédempteur que la faim dans l’humanité ? Transformer la pierre en pain était l’idéal marxiste au cœur de sa promesse de salut mais il a échoué. Alors, plus actuel que jamais, le cri des affamés doit nous pénétrer et pénétrer profondément nos oreilles et notre âme. »
Mais pas à n’importe quelle condition. « Les aides de l’Occident aux pays en voie de développement sont basées sur des principes purement techniques et matériels, qui non seulement mettent Dieu de côté, mais écartent aussi les hommes de lui. Les structures religieuses, morales et sociales du tiers-monde sont mises de côté. Dans le vide, l’Occident introduit sa mentalité techniciste. Il croit transformer la pierre en pain, mais il donne de la pierre au lieu de donner du pain. C’est la primauté de Dieu qui est ici en jeu. On ne peut pas gouverner l’histoire avec de simples structures matérielles. Si le cœur de l’homme n’est pas bon, alors rien d’autre ne peut être bon. »
Dans le chapitre 7, le pape s’arrête sur la parabole du Bon Samaritain (Luc 10,25-37), selon laquelle un homme dépouillé par des brigands est laissé pour mort sur la route, avant d’être sauvé par un étranger, un Samaritain. Il souligne « l’évidente actualité dans la société mondialisée » de cette page d’Evangile consacrée à « l’amour du prochain ». Pour lui, les populations en Afrique – mais l’exemple vaut ailleurs – « ont été volées et saccagées (…) Notre style de vie, l’histoire dans laquelle nous sommes engagés les a dépouillées et continue de les dépouiller. »
« Nous les avons blessées spirituellement, car au lieu de leur donner Dieu et d’accueillir ce qui est précieux et grand dans leurs traditions, nous leur avons apporté le cynisme d’un monde sans Dieu dans lequel seuls le pouvoir et le profit comptent. Nous avons détruit leurs critères moraux de telle façon que la corruption et une volonté de pouvoir sans scrupule sont devenues quelque chose d’évident. »
« N’est-il pas vrai que l’homme, au cours de toute son histoire, a été aliéné, torturé, abusé ? », interroge encore Benoît XVI, avant d’évoquer « les victimes de la drogue, du trafic des êtres humains, du tourisme sexuel, les personnes détruites en profondeur qui sont vides, même dans l’abondance des biens matériels. » Estimant que tout homme est concerné, il invite le monde à « apprendre de nouveau le risque de bonté. »



Terre Humaine

« Soyez des instruments de paix.
Là où règne la discorde, appelez au dialogue.
Là où sévit la confusion, amenez la clarté.
Là où domine l’ambition, effacez-vous derrière la cause.
Là où pointe l’erreur, recherchez la vérité.
Là où s’aggrave l’injustice, ne vous résignez jamais.
Là où progresse la faim, cultivez la terre.
Là où règne la tristesse, gardez le sourire. »

TH MAI 2007 : LE VIERGE, LE VIVACE ET LE BEL AUJOURD'HUI





« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui »




Aujourd’hui la France doit dire « oui » à la Turquie, dire « oui » à ces femmes et à ces hommes qui luttent pour la démocratie contre l’obscurantisme, pour la laïcité contre une religion qui voile la femme. L’entrée de la Turquie dans l’Europe n’est ni une question de culture, ni un position géographique. L’Europe n’a-t-elle pas une frontière commune avec le Brésil ? En Guyane. La bannière bleue étoilée ne flotte-t-elle pas dans les Caraïbes, en Atlantique du Sud dans les Océans Indien et Pacifique ?
L’exclusion, le refus et le repli sur ses richesses, s’ils sont de bons arguments électoraux, conduisent à une mort certaine : mort au quotidien des gens du peuple.
Aujourd’hui, l’Europe exigera le retrait des armées étrangères d’Irak et d’Afghanistan devenus des bourbiers par les mensonges et la volonté de George W. Bush. Il a déjà commencé (Espagne et Italie). L’Iran, la Tchétchénie, le Darfour font l’objet de négociations. L’Europe fera comprendre à la Russie et à la Chine, si éloignées de la démocratie, que leur puissance économique ne les autorisent nullement à mépriser et à détruire la vie en Afrique et en Asie.
Les généraux birmans piétinent leur peuple, le régime nord-coréen affame son peuple avec la bénédiction de la dictature de Beijing. Les prochains Jeux Olympiques seront avant tout une formidable aubaine pour faire reculer le cynisme de dirigeants qui, depuis 60 ans, n’ont jamais rendu de comptes à leur peuple pour ne les régler qu’entre eux.
Aujourd’hui, l’Europe dialoguera avec ses peuples voisins, s’ouvrira à eux ; d’une seule voie, elle pèsera dans le dialogue des cultures, dénoncera le choc des civilisations et permettra à l’Afrique de vivre.



Charles Trompette









Faire des luttes paysannes un combat citoyen



Quel jour tragique que ce 17 avril 1996 ! Dix-neuf paysans sans terre brésiliens trouvent la mort. Tombés pour avoir revendiqué le droit à vivre de leur travail et de la terre, leur mémoire est depuis célébrée tous les ans. Ce jour est devenu commémoration pour les paysans et paysannes du monde entier mais il est surtout une journée de lutte et de revendications.
Partout, de Salvador à Jakarta, de Maputo à Santa Cruz, de Bangalore à Paris, la paysannerie est « en guerre ». En guerre contre un modèle économique qui, au nom du marché et de la concurrence, nous impose des aliments uniformisés, des aliments qui ne sont culturellement pas les nôtres, des aliments qui viennent d’ailleurs et de plus en plus loin, sont de moins en moins variés, des aliments dont l’origine et la propriété sont de plus en plus concentrées entre les mains de quelques multinationales et par conséquent, des aliments qui mettent en péril l’existence même de la paysannerie.
Manger ce que l’on produit, produire ce que l’on mange, voilà la base de la souveraineté alimentaire, qui doit être envisagée comme un droit fondamental, des individus et des peuples. C’est un droit, mais c’est aussi un devoir. Nous, citoyens des villes, citoyens d’Europe et du monde, nous sommes en devoir d’exiger que les conditions soient créées ou recréées pour qu’il puisse s’exercer. Quand l’Europe, où l’on dit qu’un paysan « disparaît toutes les trois minutes », sera vidée de sa paysannerie, que nous restera-t-il ?
La souveraineté alimentaire, seuls les paysans et les paysannes sont en mesure de la garantir. Et c’est eux que le modèle économique tend à faire disparaître, partout. On ne peut donc que les soutenir dans cette « guerre »… Mais surtout, on devrait tous la faire nôtre, car leur lutte n’est pas une lutte pour la survie d’une classe sociale : c’est une lutte pour l’humanité, et les manifestations du 17 avril réalisées cette année partout dans le monde en sont la preuve.





Isabelle Dos Reis







Oxfam juge insuffisant l’engagement du G8 contre la pauvreté



Les pays industrialisés n’ont pas tenu leurs promesses en matière de lutte contre la pauvreté, de santé et d’éducation, causant indirectement la mort de millions de personnes dans les pays pauvres, affirme Oxfam international.
Les pays du G8 sont très loin d’avoir honoré la promesse faite lors du sommet de Glenagles, en Ecosse, il y a deux ans, de consacrer 50 milliards de dollars de plus à ces problèmes.
Au cours des deux dernières années, les progrès réalisés dans l’ensemble n’ont de loin pas atteint ce qui avait été promis. Le coût de cette inaction se chiffre en millions de vies perdues du fait de la pauvreté.
Ce sommet, qui réunira du 6 au 8 juin, à l’invitation de la chancelière allemande Angela Merkel, les dirigeants de la Grande-Bretagne, du Canada, de la France, de l’Italie, du Japon, de la Russie et des Etats-Unis, sera consacré au changement climatique, à la pauvreté en Afrique et à la coopération économique.
La promesse faite à Gleneagles d’accroître l’aide internationale de 50 milliards de dollars d’ici 2010 pourrait, si le rythme actuel des donations se confirme, se traduire par une augmentation de 20 milliards seulement.
Les pays industrialisés n’aident pas non plus suffisamment les pays pauvres à financer leur adaptation aux défis posés par le changement climatique.
Ils ne versent que quelques millions et tirent ces petites sommes de budgets d’aide existants.




Terre Humaine



« C’est par la différence et dans le divers que s’exalte l’existence. »



Victor Segalen




« Le trésor de la vie et de l’humanité est la diversité. La diversité qui ne nie nullement l’unité. Accomplir l’unité de l’espèce humaine tout en respectant sa diversité est une idée non seulement de fond, mais de projet. »




Edgar Morin


13 avril 2007

CHOUCROUTE DE LA SOLIDARITE : AMBIANCE ET REFLEXION


Article paru dans Le Républicain Lorrain le 13/04/2007

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UN BOL DE RIZ POUR FAIRE REFLECHIR LES RASSASIES


Article paru dans Le Républicain Lorrain le 03/04/2007

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TH AVRIL 2007 : LE MONDE, LA FRANCE, AILLEURS...





Le Monde, la France, ailleurs…




Le Secrétaire à la défense américain, Robert Gates, se prononce pour la fermeture de Guantanamo. Il reste aujourd’hui 385 détenus sur la base américaine : zone de non-droit absolu.
Biocarburants : sinistre idée de transformer les aliments en carburant, pour les voitures alors que des millions d’êtres humains sont condamnés à une mort prématurée par la famine.
Au Mexique, le prix des tortillas a augmenté de 14% en un an : le maïs américain est transformé en éthanol.
Chute de l’assistance internationale, la pénurie alimentaire nord-coréenne s’aggrave.
Le Zimbabwe est à genou : 1700% d’inflation, taux de chômage de 80%, pénuries de céréales et de produits de base. Or plus le pays s’enlise, plus le régime de Robert Mugabe rogne sur les dernières libertés publiques : urne muselée, opposition harcelée, réunions politiques interdites…
Somalie : existe-t-elle encore ? Rebelles, islamistes, clans, miliciens, forces gouvernementales, troupes éthiopiennes : la mort rôde dans un état-fantôme.
Congo, Côte d’Ivoire, Nigéria, Tchad, Soudan, Darfour… l’Afrique n’en finit pas de saigner.
Crimes de guerre en Tchétchénie, assassinat en plein Moscou d’Anna Politovskaïa, journaliste, femme d’exception, honneur de sa profession… l’Europe avide de gaz russe se tait, murmure à peine…
Philippines, Indonésie, Pakistan, Afghanistan, Irak, Palestine, Algérie… ils utilisent Dieu pour massacrer l’Autre, le Différent, l’Homme. De la Maison Blanche aux montagnes afghanes, les fondamentalismes religieux se tendent les mains pour massacrer.
Poussés à l’exil par la sauvagerie de la guerre civile (provoquée par l’intervention des « forces du bien »), deux millions d’Irakiens ont fui leur pays. La moitié est réfugiée à Damas. Beaucoup d’entre eux y deviennent le bouc émissaire idéal. Qui a parlé de choc des civilisations, de guerre des cultures ?
Il n’y a pas de « miracle » chinois. Le décollage de la Chine, qui fascine et effraie le reste du monde, a sa recette ; une armée de petites mains qui cousent, troussent, agrafent à la chaîne, le « made in China », qui envahira ensuite les supermarchés et les marchés de la planète à des prix imbattables. Dans les soutes du capitalisme rouge trime une main d’œuvre taillable et corvéable à merci, grincent les machines de « l’atelier du monde. »
En Inde, deux enfants sur trois sont victimes de mauvais traitements. Un enfant sur cinq dans le monde vit en Inde. Une étude commandée par le gouvernement révèle que dans un cas sur deux, il s’agit d’abus sexuels, en majorité sur des garçons. Un pavé dans la mare dans un pays où ces pratiques constituent un véritable tabou sociétal : cruauté, atteinte à la dignité, humiliation, violence émotionnelle et physique, abus sexuels, harcèlement, attouchements, viols. Les auteurs de ces mauvais traitements appartiennent à l’entourage immédiat des enfants : amis, proches, parents. Treize millions d’enfants victimes d’esclavage en Inde. Aujourd’hui.
Le Monde brûle ; les français regardent ailleurs ; au fond de leur porte-monnaie, au fond de leur compte bancaire, au fond de leur pouvoir d’achat. Ce qui déstabilise le monde, c’est la misère, ce sont des inégalités qui se creusent, c’est l’humiliation de ceux qui sont bafoués. Certes, il ne faut par noircir le tableau ! Tous aux abris ! Ce n’est plus la lutte finale, c’est le repli national !



Charles Trompette







L’innocence violée



Socialement, elles ne sont rien. Du point de vue économique, ce sont des marchandises qu’une mère maquerelle a faites siennes, et que plusieurs clients louent chaque soir pour 5 ou 10 dollars. Au petit matin elles s’écroulent dans le deux-pièces qu’elles partagent au centre de Phnom Penh, et quand elles s’éveillent, le film de la nuit repasse dans leur tête et le dégoût les envahit. Ce sont des filles de la campagne, d’une campagne extrêmement pauvre, où les paysans sont d’une ténacité légendaire et où les femmes travaillent encore plus dur que les hommes. Dans ce monde si différent de celui de la capitale, de nombreux mariages sont arrangés comme jadis, et l’honneur des familles veut que les filles soient vierges, sinon la communauté les rejette impitoyablement.
Mais aucune des locataires du Building Blanc n’a connu ce destin. Soit parce que leurs parents ont réellement cru qu’elles deviendraient ouvrières en usine, soit parce qu’elles ont eu l’infortune de naître dans une société aux valeurs anéanties par une succession de guerres ; la plupart d’entre elles ont été vendues contre une poignée de billets à un recruteur ou à une recruteuse, qui les a revendues avec bénéfice à une maquerelle ou à un maquereau.
Elles s’appellent Da, Môm, Sinourn, Aun Thom, Mab. Elles ont entre 19 et 23 ans. Elles font partie des 20.000 prostituées de Phnom Penh, dont un quart sont adolescentes. Beaucoup sont séropositives, beaucoup se droguent, beaucoup font des tentatives de suicides, mais elles ne savent rien faire d’autre, sont prises dans le système. Toutes sont jolies, gracieuses, mais déjà fanées. Car le travail de nuit, en contradiction avec les rythmes biologiques, donne souvent aux chairs un aspect de cire molle.
Au moyen d’une pipe à eau, composée d’une bouteille et d’une paille en plastique, elles inhalent du yaa maa, une amphétamine à base d’éphédrine, psychostimulant que les soldats du Viet Nam connaissent bien.
Les laboratoires clandestins du Triangle d’Or en inondent l’Asie du Sud-Est, et notamment la Thaïlande, où, de la gogo-girl au chauffeur routier en passant par l’ouvrier du bâtiment, de nombreuses professions y ont recours pour tenir le rythme ou simplement rester éveillés. Il en existe de toutes sortes, plus énergisantes ou plus planantes. Les jeunes femmes ont manifestement choisi la variété planante. Ce qui leur permet d’oublier les insultes de la mère maquerelle qui résonnent dans la cage d’escalier, le énième avortement qui se profile à l’horizon, le risque d’attraper le sida avec un de ces clients qui refusent les rapports protégés, et la perspective de crever comme une bête sans médicaments à un prix abordable.
La pluie de mousson tombe en épais rideaux. Son visage de chat levé vers le ciel, Da improvise un chant où il est question de filles qui gagnent leur vie à la sueur de leur corps. Le vent gonfle son sarong, les gouttes roulent sur ses joues. Elle n’a que 21 ans et déjà tant de remords. Le pire est d’avoir entraîné dans la prostitution sa sœur, qui est en train de mourir à petit feu, le corps recouvert de furoncles, dans une misérable cahute.
Le Building Blanc, c’est un peu l’île des enfants perdus qui tentent de fuir la réalité en planant à l’aide d’amphétamines, mais qui replongent chaque soir dans un univers hostile où aucune poussière magique ne permet d’échapper aux dangers. Bien que la prostitution soit officiellement interdite au Cambodge, les bordels, karaokés, bars et salons de massage pullulent dans la capitale. Ce qui revient à dire que les filles n’ont pas le choix. « Quand on s’étend sur un lit, c’est comme si on s’étendait sur la planche d’un boucher. Pour l’argent, on supporte tout. Même à quatre ou cinq, on accepte. » Beaucoup d’entre elles ont été tuées par des hommes furieux de n’être pas obéis, et leur mort n’a pas donné lieu à un entrefilet dans les journaux. Elles ont disparu. C’est tout.
Les « mauvaises filles » racontent. L’une a été fouettée à coups de ceinture par la maquerelle, l’autre s’est fait pocher l’œil par un client. Leurs confidences se déroulent comme un palimpseste dont le décryptage nous guide vers une vérité d’ordre général : le marché du sexe est en pleine croissance, et il se fonde avant tout sur les inégalités ; la mondialisation des échanges n’a fait qu’accélérer la marchandisation des êtres et des choses. « Il m’a dit : « Traînée, fais-moi une gâterie » J’ai dit : « Non ». Il m’a frappée. » Elle peut à peine ouvrir son œil. Comment travaillera-t-elle ce soir ? Qui voudra d’une fille au visage tuméfié ? Son minois de 20 ans, c’est son outil de travail.





Terre Humaine



On n’a pas le choix. On ne peut plus se penser sans penser le monde. Il est bien temps « d’abattre le haut rideau d’épines derrière lequel nous fûmes des acteurs à la langue coupée. »


René Char






19 mars 2007

TH MARS 2007 : LE BRESIL EST EN GUERRE



Le Brésil est en guerre



« Et dans ton pays, il y a aussi la guerre ? » me demande Romario, garçon de 10 ans habitant la Comunidade (mot noble pour favela) da Pedreira dans le quartier de Pavuna, de la Baixada Fluminence, immense banlieue noire, pauvre et violente de Rio de Janeiro.
Aujourd’hui encore me hantent les cauchemars de favelas violentes et miséreuses : tir d’armes automatiques, balles perdues, trafiquants armés vendant la drogue dans les ruelles, rues coupées par des gravats, des rochers, des troncs d’arbre pour empêcher la circulation de la police, gamins équipés de talkie-walkie surveillant l’entrée de la favela et annonçant l’arrivée d’étrangers, conversation à voix basse racontant drogue et assassinat…
Aujourd’hui comme hier, la violence et le crime sont le quotidien des favelas. Aujourd’hui plus qu’hier, je ne sais. Mais l’enfant estime vivre dans un pays en guerre. Les morts violentes sont plus nombreuses chaque jour au Brésil qu’en Irak. 50.000 meurtres par an. Le Brésil est bien en guerre. Une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre qui n’intéresse pas les média de la planète et ne sert qu’à faire les gros titres des journaux brésiliens à sensation.
Le trafic de drogue est florissant et très lucratif. Il est facile d’y prendre part : sans éducation, désoeuvrés, les jeunes cèdent à la tentation. Des milices parapolicières, formées de policiers, de pompiers, et de gardiens de prison prétendent expulser les criminels des favelas. Elles contrôleraient déjà une centaine des 650 bidonvilles de Rio de Janeiro. Elles affrontent les gangs de trafiquants, défient les forces de l’ordre et imposent leur loi. Elles deviennent à leur tour une mafia, un pouvoir parallèle. Elles extorquent de l’argent aux favelados, notamment aux petits commerçants installés dans les ruelles tortueuses et aux vendeurs de bombonnes de gaz.
Sortir de cette violence ? La seule issue : l’Education. Un combat, sans violence, que mène essentiellement la femme brésilienne.
En attendant Godot…, carnaval et tragédie avancent main dans la main. Quand la mort rôde, et que tout devient incertain, la fuite dans la fête s’intensifie.

Charles Trompette



La comunidade en résistance


Les enfants de l’école de Tingua viennent de la rue et des favelas. La vie dans la favela est un entre-deux permanent entre la violence et la fête, la joie de vivre et la mort qui peut frapper à tout moment.

« A l’intérieur même de notre pays, il y a de très nombreux préjugés non seulement sur la vie dans la favela mais également sur tous ceux qui y vivent. Pour la majorité, la favela, c’est la drogue et la violence. Bien sûr, cela est présent mais il y a aussi des gens qui luttent, qui résistent avec un très grand potentiel. » Renata

« La favela est joyeuse et triste à la fois. Il y a des moments où l’on s’amuse dans la rue et les gens des gangs ou la police viennent nous menacer… » Romario

« Même s’il y a de la drogue et de la violence, il y a dans la favela des gens honnêtes, courageux, travailleurs. La police devrait protéger les plus pauvres au lieu de nous assimiler tous à des trafiquants. » Fabio

« Dans la favela, il y a beaucoup de violence et de gens qui souffrent. On est toujours en train de lutter pour montrer à tout le monde notre résistance et nos potentialités. » Daniela

« La favela, ce sont des femmes et des hommes qui se battent tous les jours pour avoir de quoi manger le lendemain. C’est la lutte quotidienne du peuple pour vivre décemment. » Cleonis

« Malgré la violence, la vie dans la favela est joyeuse et belle. » Deivson

« Il y a la joie, la tristesse, les difficultés et des barrières à faire tomber. Pour moi la vie dans la favela, c’est la résistance. » Elein

« La favela, c’est la dureté de la vie. Et les mères qui ne savent pas ce qu’elles vont donner à manger à leurs enfants le lendemain. Et malgré ces difficultés, les gens qui vivent là, résistent et luttent pour s’en sortir. » Flapinho

« Le processus pédagogique est long, précise Nubia. Il y a en premier lieu une réponse immédiate : l’adolescent commence à prendre goût aux actions que nous proposons et va laisser tomber peu à peu la drogue, les gangs, etc. Puis il y a une deuxième étape, plus longue à se dessiner. Au bout d’un certain temps, ces enfants apprennent à relever la tête. Ce n’est pas seulement une image. Ils ont eu jusqu’alors une vie difficile où, depuis tout petits, ils ont passé leur temps à récupérer les cartons, les détritus. A baisser la tête. Ils la relèvent maintenant et commencent à pouvoir parler en regardant les gens dans les yeux : ils se projettent vers le futur. Enfin, il y a les plus anciens qui deviennent à leur tour des formateurs, des professeurs. Ils deviennent des « passeurs », au sens où ils vont retransmettre ce qu’ils ont appris. Mais l’objectif le plus immédiat et concret reste dans la plupart des cas la préservation de la vie, car la mort est toujours très proche dans le milieu où ils vivent. »


Un autre Brésil : la ferme la plus grande du monde.


Quelle est cette ligne sur la carte du Brésil qui, chaque année se déplace vers les quatre points cardinaux ? C’est la ferme la plus grande du monde, et qui continue à grandir. Cette progression a quelque chose de militaire. On dirait une armée en marche, poussée par toute une nation. Et la frontière, cette frontière perpétuellement nouvelle, devient front lorsque les pionniers défricheurs arrivent à l’extrémité de la savane et commencent à s’attaquer aux grands arbres. La forêt amazonienne est la première réserve de biodiversité de la planète (le cinquième des espèces de plantes, le cinquième des espèces d’oiseaux, le dixième des espèces de mammifères). Et, plus vaste forêt du monde, elle freine les progrès de l’effet de serre. Dans ces conditions, à qui appartient la forêt amazonienne, richesse essentielle à la survie générale de l’humanité ?


Terre Humaine
« Le droit de l’enfant c’est d’être un homme ; ce qui fait l’homme, c’est la lumière ; ce qui fait la lumière, c’est l’instruction. Donc le droit de l’enfant, c’est l’instruction gratuite obligatoire. »
Victor Hugo. 1849



TH FEVRIER 2007



Urgence



En 1972, le premier rapport du Club de Rome, réalisé par le Massachusetts Institute of Technology intitulé « Halte à la croissance ? » pointait les dangers écologiques de la croissance économique et démographique. Aujourd’hui, après Malthus (1798), Ricardo (1817), Sico Mansholt et Bertrand de Jouvenel (au XXe siècle), nombreux sont les esprits à prôner une politique de décroissance soutenable.
Est-ce la renaissance d’une utopie ? Les hommes peuvent-ils continuer encore longtemps à polluer l’atmosphère, à abattre les arbres, à pomper le pétrole, à détourner les fleuves sans mettre en péril leur existence même ? Le monde occidental parait s’éveiller à ces questions qu’il a trop longtemps refusé de se poser. L’histoire de l’humanité nous montre comment des civilisations qui se croyaient éternelles ont disparu pour n’avoir pas su respecter l’environnement.
Alors pour faire face à la menace, le monde occidental a inventé le développement durable qui concilie croissance et protection de l’environnement. Mais la croissance propre, la croissance soutenable, comme le développement durable, sont des oxymores, c'est-à-dire une juxtaposition de deux mots contradictoires. Le responsable du développement durable n’est pas là pour nous sauver la planète, mais pour faire en sorte que l’entreprise respecte les nouvelles normes de qualité et d’environnement. Et pour éviter les conflits sociaux ou les polémiques avec les consommateurs. Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l’espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l’épuisement des ressources naturelles.
On ne peut plus nier la fonte des glaces polaires, des sols gelés du Groenland ou celle des neiges éternelles du Kilimandjaro, ni la hausse du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère, l’épuisement des réserves de pétrole, la disparition de milliers d’espèces, la pollution des sols et des fleuves. Ni que la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique a atteint une épaisseur minimale record. Et voici les premiers « réfugiés climatiques » qui se mettent en marche, fuyant la sécheresse grandissante, la montée des eaux, la pollution des puits, le sol dégelé qui se dérobe sous leurs maisons.
Le citoyen de la planète doit définir les voies par lesquelles il peut d’ores et déjà peser, afin que, dans un avenir que nous écrirons tous, le monde soit durable et moins inéquitable aux pauvres et démunis.
Il est urgent d’arrêter la croissance qui détruit. Il est urgent de ne plus croire à l’illusion du développement durable. Il est urgent de ne plus continuer comme maintenant.

Charles Trompette




Petite enfance et école publique
L’école publique a beau avoir multiplié ses effectifs, elle est devenue quasiment impuissante devant le phénomène qui cause l’inégalité la plus massive : les enfants de familles pauvres ont moins de chances de grimper l’échelle sociale que les enfants de familles riches. Un économiste danois nous confirme que tout se joue dans la petite enfance, quand se déterminent les « capacités » des enfants. C’est là qu’il faut agir.

Pauvres enfants de la patrie…
Vivre avec moins de 700 euros par mois, c’est le sort de 7 millions de personnes en France. (En Afrique, la moitié de la population vit avec moins de 365 euros par an.) Les plus fragilisés ? Les enfants. Deux millions d’enfants pauvres en France ! Un chiffre qui risque d’augmenter encore. Par ailleurs, beaucoup de gens vivent autour de ce seuil dans « un halo de pauvreté ». La pauvreté s’est féminisée. 80% des travailleurs pauvres, avec un emploi à temps partiel subi, sont des femmes. Elles vivent souvent dans un foyer monoparental. La pauvreté laborieuse du XIXe siècle est revenue et croise la pauvreté liée au chômage. La plupart des enfants vivent en milieu urbain. Leur pauvreté ne se voit pas forcément. Ils ont autant de dignité que les adultes, donc ils vont cacher leur état, vouloir être comme les autres. Ces enfants sont ceux de la femme de ménage qui nettoie les bureaux, ceux de la caissière qui vous rend la monnaie. Des gens qu’on côtoie tous les jours sans savoir que leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles.
La famille d’un enfant pauvre a entre 5 à 10 euros par jour et par personne pour se nourrir, se déplacer, se vêtir… Les gens qui fréquentent les Restos du Cœur sont de plus en plus nombreux. Ils ne crèvent pas de faim, on ne meurt plus de faim en France. Mais un colis alimentaire permet d’économiser quelques euros pour une autre dépense : pour ces enfants, remplacer un compas cassé, acheter un livre peut être un énorme problème.
Les enfants pauvres ont autant de risques que les autres enfants d’avoir besoin de lunettes mais moins de chances d’en acheter. Autant de réticences que les autres enfants à se laver les dents mais leurs caries ont moins de chances d’être soignées… Il y a aussi des troubles spécifiques : le saturnisme, les maladies dues à une mauvaise alimentation, les mauvais traitements qui existent dans tous les milieux mais qui sont exacerbés par la misère.


Enfant : le droit à la parole

L’enfance, pour nous, c’était l’attendrissement, l’avenir, l’innocence, c’était le fameux « cercle de famille » du père Hugo, qui « applaudit à grands cris » la chère tête blonde.
Mais l’idylle s’est évanouie. Dans nos régions prétendues développées, bien des enfants, abandonnés à eux-mêmes, sont à la dérive : petits délinquants et petites victimes. Mais dans les pays qu’on dit pudiquement « en voie de développement », c’est la catastrophe. Des millions d’enfants sont affamés, malades, atteints dans leur chair et dans leur esprit, transformés en bagnards pour que survivent des économies de misère, plongés dans la délinquance et la prostitution, aliénés de leur enfance même, ce temps qui devrait être celui de l’insouciance heureuse. Les millions d’enfants du tiers et du quart-monde nous accusent. Mais ils nous accusent en silence et, curieusement, leur nom en français le dit tout net. Infans, passé du latin dans l’ancienne langue, ce n’est pas « le jeune », « le petit ou la petite », ni « l’innocent », qui veut dire « celui qui est incapable de nuire », non, c’est « celui qui ne parle pas ». In- négatif, et fans, du verbe fari, « parler ». L’infans, à l’origine, c’est celui qui ne parle pas encore.
Aujourd’hui, l’enfant parle, mais on dirait que le mot se venge : oui, les enfants du monde entier savent parler, en une multitude de langues, mais ils ont rarement droit à la parole.
L’école, parfois, donne la parole aux enfants, mais ceux dont il est question ne vont pas à l’école. Epuisés, malades, ils ne peuvent que gémir et pleurer ; enrôlés de force par la guerre, ils hurlent, ils meurent, parfois, ils tuent, en riant ; ou bien, écrasés de travail, ils se taisent.
Pour une fois que la loi du silence est brisée, vous m’excuserez si mon petit droit à la parole prend la forme d’un coup de gueule. Donnons la parole à l’infans, pour qu’il redécouvre l’enfance.
Alain Rey


Terre Humaine
Réveille-toi avec la lumière dans les yeux.
Dis les choses avec la lumière dans les livres.
Marche vers le monde avec tout la lumière du passé.

Fabricio Estrada

TH JANVIER 2007



Migration : l’exil ou la mort.



Rien n’interrompt le flux des réfugiés qui errent dans les rues de Calais et qui finissent par s’infiltrer dans un ferry pour la Grande-Bretagne : ni les arrestations musclées ni la destruction des abris par les bulldozers encadrés de CRS.
Rien n’arrête les milliers d’Africains qui quittent leur pays pour rejoindre l’Europe. Beaucoup disparaissent en mer ou meurent dans le désert. « Mieux vaut mourir que rester pauvre toute sa vie. »
Elles sont chaque année 100 millions à tenter leur chance à l’étranger. Les femmes représentent désormais la moitié des migrants du monde.
Une fois parties, les femmes font vivre des familles entières grâce aux fonds qu’elles font parvenir à leurs proches restés au pays. Des 230 milliards de dollars envoyés en 2005, elles en assument une grande part. Elles envoient une plus forte proportion de leurs gains que les hommes. Cet argent sert à nourrir des ventres affamés, à habiller et à éduquer des enfants, à fournir des soins de santé, à améliorer le niveau de vie des êtres chers qu’elles ont laissés derrière elles.
La migration des femmes, dont beaucoup ont été formées à des métiers sanitaires et sociaux, pèse lourdement sur les pays d’origine. Le départ massif d’infirmières, de sages-femmes et de médecins des pays pauvres vers les pays riches est l’un des problèmes les plus difficiles que pose aujourd’hui la migration internationale. En 2003, 85% des infirmières philippines travaillaient à l’étranger.
Pour l’Afrique, qui vacille sous le poids des maladies infectieuses, cet exode est un véritable drame : tous les ans, 20.000 infirmières et médecins formés à grands frais par les pays africains quittent leur région natale.
Combien d’êtres humaines échouent dans des ghettos aux portes de la paradisiaque Europe, combien meurent dans le désert, combien disparaissent dans les flots pour satisfaire un rêve de liberté, nourrir une famille ? Qui leur dira qu’il n’y a rien, derrière le miroir, qu’humiliation et pauvreté ? Quand cessera cette hémorragie qui vide le Tiers-Monde de ses forces vives pour gonfler les rangs des clandestins en Europe et les poches des mafias et des exploiteurs ?


Charles Trompette



Hans Küng : l’autre cerveau de l’Eglise

Le dialogue des religions est devenu sa drogue. C’est, pour lui, le radeau de survie de l’humanité. Küng est régulièrement à Berlin, Moscou, Téhéran, Riyad, New York, Pékin, Séoul, Mexico, pour développer son projet d’ethos planétaire, ses applications à la science, à l’armement, à la technologie, aux religions. Il est sévère avec les trois monothéismes également rivés au « paradigme médiéval » : le catholicisme avec sa papauté et son système clérical ; le judaïsme orthodoxe avec son étroit système rabbinique ; l’islam avec sa charia. Le monde ira mieux quand ces religions auront atteint le « paradigme de l’âge moderne ». C’est possible, plaide Küng, qui cite les grandes réconciliations de l’histoire – France et Allemagne, Afrique du Sud – et les nouveaux prophètes : Gandhi, Luther King, Tutu, etc.


L’intérieur de la nuit
De son point de vue, la vie entière des Africains se passait à échapper à la mort. Ils ne semblaient même pas se rendre compte qu’elle les environnait. Elle était dans les cours d’eau au fond desquels proliféraient des vers. Ces derniers causaient des ulcères qui rongeaient les chairs des enfants. Elle était dans l’eau de boisson, dans les mares qui stagnaient aux abords des habitations, envoyant des nuées de moustiques couvrir le monde à la nuit tombée. La mort était partout dans l’ignorance des populations. La mort avait fait de l’Afrique son royaume. Il suffisait de voir les nuées de mouches qui couvraient de leur ombre des territoires entiers pour n’en pas douter, la mouche étant gardienne de la mort. Elle s’incarnait dans les chefs. Elle prenait forme humaine, tenait le chasse-mouches, arborait la chéchia en peau de panthère, et sévissait tout son soûl.
Tuer le père n’était pas envisageable dans ces parages, et les patriarches jouissaient du pouvoir suprême. C’était pour cela qu’ils étaient tous prêts à tout. Pour tenir dans leurs mains la puissance de celui qui dirait la loi. Celui que nul ne jugerait jamais. Père de la nation. Père de la révolution. Père fondateur. Grand libérateur. Celui qui jadis se déplaçait à dos d’hommes et qui disposait désormais de berlines climatisées et d’un avion personnel. Celui dont les serviteurs étaient jadis enterrés vivants et qui faisait aujourd’hui vivre son peuple dans les souterrains du manque et de l’obscurantisme.
Léonora Miano

Les mères meilleures que les pères
Quand les femmes ont droit à la parole, la part du budget consacré à la santé et à l’éducation augmente.

Une enquête menée dans trois régions du monde (Amérique latine/Caraïbes, Asie du Sud et Afrique subsaharienne) établit un lien très clair entre la nourriture dont disposent les enfants et le pouvoir de décision des mères. Les chercheurs ont calculé que si les hommes, en Asie du Sud, partageaient avec leur épouse le pouvoir de décision économique, le nombre d’enfants de moins de 3 ans sous-alimentés pourrait être réduit de 13%, soit 13,4 millions d’enfants.
Le pouvoir aux femmes ? L’économiste Muhammad Yunus, qui vient de se voir attribuer le prix Nobel de la paix, a déjà mis cette thèse en application : parmi les habitants du Bangladesh auxquels sa banque, la Grameen Banck, a prêté de l’argent, 96% sont des femmes car, dit-il, « les femmes ont un meilleur comportement économique. »



Terre Humaine
Bénis soient ceux qui disent non, car le royaume de la terre devrait leur appartenir. Le royaume de la terre appartient à ceux qui ont le talent de mettre le « non » au service du « oui ».
José Saramago


Vœux pour 2007
Rends-moi plus opulent dans le don pour égaler de ce qui est fécond, pour que le cœur et la pensée deviennent vastes comme le monde ! Et que toutes ces activités ne parviennent pas à me fatiguer. Que les grandes prodigalités viennent de moi sans jamais s’épuiser.
Tels sont pour vous les vœux de Gabriela Mistral et de l’équipe de Terre Humaine pour 2007.

TH NOVEMBRE/DECEMBRE 2006


ADEQUATION



Quand un lycée décide de collecter des livres usagés, de les envoyer dans un pays dont le français n’est plus depuis fort longtemps la langue officielle…

Quand un fonctionnaire de l’Unesco conseille à des étudiants de Sciences-Po en France d’envoyer au Mali de vieux exemplaires d’un journal local…

Quand une municipalité récupère les vieux vélos, les répare, et les envoie annuellement au Burkina-Faso…

Quand une autre y expédie ses autobus hors d’usage…

Quand une région prétend aider l’Afrique en y envoyant de jeunes volontaires « pour mener des actions porteuses de changement social et de développement durable »…

… alors que, par milliers, les Africains, les plus dynamiques, quittent leurs contrées, viennent en clandestin travailler en Europe.

Pour un véritable développement, il serait plutôt souhaitable que cette région qui alloue 12.000 euros par an et par jeune volontaire français consacre cette somme à financer les salaires de professeurs africains : ceux-ci sont plus adaptés à la réalité que ceux-là.

Aujourd’hui, il y a plus de médecins béninois qui exercent en Ile-de-France qu’au Bénin. Ils ont été formés dans leur pays et soignent les malades français. C’est ce que certains appellent l’immigration choisie. Vingt mille professionnels de la santé émigrent chaque année du continent africain vers l’Europe ou l’Amérique du Nord.

Il est de toute première urgence que nous n’envisagions plus la coopération avec les pays du Tiers Monde en fonction de nos déchets, rebuts à évacuer, de nos besoins d’aventure et d’exotisme, mais que notre aide massive soit en adéquation, avec les véritables nécessités des peuples de la faim : formation, santé…

Il importe que cette aide soit massive et que les éternelles promesses soient un jour tenues. Le 2 octobre 1970, les pays riches s’étaient engagés à consacrer 0,70% de leur PIB à l’aide au Tiers-Monde. En 2006, ils n’en versent que 0,22%.



Charles Trompette



Quand les femmes auront disparu


100.000.000 femmes manquent en Asie. 36.000.000 en Inde, au moins autant en Chine et plusieurs millions d’autres dans le reste de l’Asie. Au regard du nombre d’habitants sur terre (6,5 milliards), cette brèche démographique peut apparaître mineure. Pourtant, c’est comme si un pays comme le Mexique avait été presque entièrement vidé de ses habitants.

« Naître fille en Inde est une malédiction ; aujourd’hui, c’est presque un miracle. »
Aujourd’hui encore, en Inde on élimine, à la naissance les « indésirables », les bébés de sexe féminin. Dans ce pays, depuis toujours la préférence va aux garçons. Seul un garçon garantit la pérennité du nom et des biens de la famille et soutient ses parents dans les vieux jours. Une fille est un être sans valeur, dont la naissance est vécue comme une honte. Elle est aussi celle pour qui il faut payer la dot, une coutume ruineuse. Officiellement interdite depuis 1961, la dot a toujours cours, notamment au sein des classes moyennes où un mariage peut coûter jusqu’à 28.000 euros alors que le salaire mensuel moyen n’est que de 160 euros. C’est pourquoi dès leur naissance, les filles font l’objet de moins d’attentions : elles sont moins nourries et moins soignées que les garçons d’où leur taux de mortalité infantile anormalement élevé.
Jugées inutiles, certaines de ces petites filles sont aussi vendues par leur famille à des exploiteurs de main-d’œuvre enfantine, voire à des réseaux de prostitution. La presse locale évoque régulièrement des faits divers comme des fillettes cédées en remboursement d’une dette ou contre de la nourriture. Dans l’Etat indien de l’Orissa, une fillette a été vendue par son père contre quatre kilos de riz.

« Elever une fille revient à arroser le jardin du voisin, ça ne sert à rien »
Puisqu’elles ne servent à rien, pourquoi les envoyer à l’école ? Inutile de payer des fournitures scolaires car ce qu’elles apprendront ne profitera pas aux siens, mais à sa future belle-famille, ainsi raisonne la société indienne.
Par conséquent, l’Asie compte un grand nombre de femmes analphabètes, ce qui les rend dépendantes des hommes. Elles ne peuvent travailler, faire des démarches ou voyager seules et encore moins revendiquer leur autonomie. Maintenir les femmes dans l’analphabétisme est un des outils du patriarcat. Maintenir les femmes dans la pauvreté est un autre moyen de les dominer.
Les femmes ont été élevées dans une telle situation d’infériorité que ce sont souvent elles qui défendent le plus ardemment la sélection des naissances. Pour elles, avoir un garçon est le seul moyen d’acquérir le respect de leur mari et de leur entourage. « Si, une mère ne tue pas sa fille qui vient de naître, elle devient l’étrangère, elle est exclue de la communauté », explique le docteur Chezhian.

« Payez 500 roupies aujourd’hui, vous n’aurez pas à payer 50.000 demain. »
Le récent développement de l’échographie accentue encore le phénomène. La loi interdisant la sélection des naissances a été promulguée il y a dix ans, mais elle reste mal appliquée. En fait, l’ensemble de la société est complice parce qu’elle est unanime sur le fait qu’élever une fille est une perte. L’avortement sélectif est devenu un marché clandestin, et très lucratif : il y a 6 millions d’avortements par an en Inde, et 90% sont effectués sur des fœtus féminins.

« Bachelor village »
Au Pakistan voisin, pays où un tiers de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, ce ne sont pas les coutumes ou les croyances qui conduisent les mères à tuer leurs enfants, c’est la misère. Ici, les nouveaux-nés de sexe féminin ne sont pas empoisonnés mais tout simplement jetés dans les décharges.
Aujourd’hui, on parle de « bachelor village », des villages de célibataires. Arif a trois frères, tous les quatre ont plus de 25 ans. Un seul a trouvé une femme qui lui a donné un enfant… un fils. Arif et ses frères ne trouveront plus de femmes, à moins de partir en acheter une dans une autre région. Pour s’occuper, les hommes du village se rassemblent dans les cafés, regardent, songeurs, à la télévision, les clips vidéos où les stars de Bollywood prônent les joies de l’amour, tandis qu’eux, attendent, jouent, tombent dans l’alcool et la violence.

En Chine, la politique de l’enfant unique a aussi eu pour conséquence l’élimination massive des petites filles. Ici, comme en Inde, l’avortement clandestin a désormais supplanté l’infanticide. D’ici quinze ans, la Chine devra gérer plus de 40 millions de célibataires qui ne trouveront jamais de femme pour fonder une famille… parce qu’elles ne seront pas nées. Ce pan de la société sera peut-être marginalisé ou enclin à plus de violence : à vrai dire, le comportement de ces laissés-pour-compte du mariage reste pour le moment assez imprévisible.


Terre Humaine


« Aujourd’hui, ma préoccupation principale est de donner aux autres ce que l’on m’a donné : l’accès à l’éducation et à l’autonomie. Je n’ai aucun mérite à faire ce que je fais. C’est quelque chose que je ressens profondément en moi. Je dois le faire, c’est tout. »
Graça Machel, épouse de Nelson Mandela


21 octobre 2006

DOM FRAGOGO S'EST ETEINT...

Dom Fragoso s’est éteint…


Dom Antonio Batista Fragoso, évêque de Crateus dans le Nordeste du Brésil est bien connu des membres de l’association Terre Humaine et des lecteurs de la revue éponyme. Lors de ses nombreuses visites en Europe et notamment au Vatican, Dom Fragoso avait séjourné en Lorraine dans les années 80. Il avait tenu une conférence dans les grands salons de l’Hôtel de la Ville de Metz, trop étroits ce jour-là, en présence de Monseigneur Pierre Raffin. Il avait expliqué comment et pourquoi il avait refusé les dons d’un riche diocèse allemand qui transformaient les pauvres brésiliens en mendiants. Le jour où il a reçu la charge du peuple de Crateus, il disait : « Je ne veux pas être le Prince de l’Eglise, un « Excelentissimo Senhor », un constructeur de civilisation, mais je veux être, sur cette terre, un humble serviteur de ce peuple. Je serai heureux quand je verrai le peuple de Crateus prendre sur ses propres épaules le destin de sa terre. » Il n’avait jamais habité le majestueux palais épiscopal de son diocèse mais résidait dans une maison confortable. Il confiait à Charles Trompette venu connaître la réalité du peuple du Nordeste : « Les pauvres ne comprennent pas ces missionnaires qui choisissent de vivre dans les favelas, dans la misère. Pour eux, la misère, c’est l’enfer, ils veulent en sortir. Nul besoin de magnifier les conditions de vie infra-humaines. » Dom Fragoso était, comme Dom Helder Camara, un de ces pères conciliaires (Vatican II) qui ont impulsé l’ouverture de l’Eglise sur le monde contemporain. Dom Fragoso, lors de son séjour en Lorraine, résida à Cutting, où il a tenu à célébrer l’eucharistie dans la chapelle de la maison natale de Jean Martin Moye rappelant que l’éducation est la condition sine qua non de libération des pauvres ; il a également voulu rencontrer les chrétiens du secteur, lors d’un petit-déjeuner pris chez Alain et Agnès Romain. Dom Fragoso parlait couramment français. Depuis lors, il n’a cessé d’entretenir une correspondance régulière avec « Terre Humaine », soutenant les initiatives de l’association, l’interrogeant sur ses choix, approfondissant avec elle la réflexion sur les relations Nord-Sud ; aucun lien financier ne liant l’association au diocèse de Crateus. « Nous venons de perdre, confie Charles Trompette, non seulement un ami, mais un véritable pasteur qui avait fait le choix évangélique des pauvres et savait nous interpeller. »

07 octobre 2006

TH OCTOBRE 2006 : ACCUEIL


ACCUEIL


J’ai honte. J’ai honte de l’accueil que mes compatriotes réservent aux étrangers arrivés en France. Je pourrai ici conter de nombreuses anecdotes. Mais je préfère parler de l’accueil reçu en Chine, au Viet Nam, en Inde, à Madagascar, en Afrique, au Brésil, au Pérou, en Bolivie, en Equateur… Là-bas, les gens riches ou pauvres, vous accueillent. Jamais je n’ai dû apporter mon repas dans une maison. Les plus pauvres vous réservent un accueil royal ; et pour ce faire, ils se privent, ils empruntent, ils s’endettent ; alors que nous, lorsque nous les accueillons nous partageons notre superflu. Nulle privation. Et si vous voulez les dédommager de leur accueil festif par quelque menue monnaie (la leur ayant une valeur dérisoire face à l’euro), vous les humiliez.

Et nous, lorsqu’ils arrivent, nous rejetons l’ami avec lequel ils sont arrivés parce qu’il n’était pas annoncé ; et nous, lorsqu’ils arrivent, nous comptons, nous limitons les frais, nous leur demandons d’apporter leur repas. Honte. J’ai honte.



Certains poussent le vice jusqu’à nous empêcher de bien accueillir l’étranger, puis à vous le reprocher. Riches ou pauvres, là-bas, ils ont la culture de l’hospitalité. L’accueil de l’autre, l’accueil de l’étranger, ici, ce serait le début du partage des richesses du village-planète.

On pourrait multiplier à l’infini les exemples de rejet de l’étranger. Parmi les 7883 spectateurs qui ont assisté au match France-Italie le 6 septembre dernier, soixante-dix, invités par Lilian Thuram et Patrick Vieira, faisaient partie des ex-squatteurs de Cachan. Yves Jégo, député, proche de Nicolas Sarkozy, a affirmé : « On peut être un grand sportif et se révéler un piètre individu sur le terrain politique. » Lilian Thuram s’est étonné : « Ah, ce ne sont pas les bonnes personnes à inviter ? » Ce geste honore notre pays et rappelle à bon escient les valeurs républicaines de fraternité et d’égalité.




Charles Trompette




Congo

Selon l’Organisation des Nations unies, plus d’un milliard de personnes vivent dans les bidonvilles des mégapoles du Sud. Des taudis de Lima aux collines d’ordures de Manille, l’urbanisation, en effet, a été déconnectée de la croissance économique.
Kinshasa est une ville que ses propres habitants décrivent universellement comme « un cadavre, une épave » ou qu’ils surnomment « Kin-la-poubelle ». On estime aujourd’hui, que moins de 5% des habitants de Kinshasa ont un salaire régulier. Les résidents survivent grâce à leurs potagers, omniprésents et grâce à leur débrouillardise ils achètent, revendent, trafiquent et marchandent.
Que signifie une ville d’une population estimée à 6 millions d’habitants dans laquelle il n’y a pour ainsi dire aucune circulation automobile ni aucun transport public pour la simple raison qu’il est très souvent impossible de trouver la moindre goutte d’essence pendant des semaines, voire des mois ? Pourquoi continuer à entretenir la convention sociale qui pousse à appeler « argent » un billet de banque lorsque l’on est quotidiennement confronté au fait que ce n’est qu’un bout de papier sans valeur ? A quoi bon distinguer le formel et l’informel ou l’économie parallèle lorsque l’informel est devenu la norme et que le formel a pratiquement cessé d’exister ?
Les Kinois vivent leur cité de ruines avec un indéfectible sens de l’humour, mais même l’ironie bravache finit par céder devant le caractère sinistre du terrain social : le revenu moyen est tombé à moins de 100 dollars par an ; les deux tiers de la population souffrent de malnutrition ; la classe moyenne a disparu ; et un adulte sur cinq est séropositif. Les trois quarts des habitants sont trop pauvres pour avoir accès aux soins et doivent s’en remettre à des guérisseurs pentecôtistes ou à des marabouts.
Comme le reste du Congo-Kinshasa, la capitale a été saccagée par un ouragan parfait de kleptocratie, de géopolitique de la guerre froide, d’ajustements structurels et de guerre civile chronique. La dictature de Mobutu, qui a méthodiquement pillé le Congo pendant trente-deux ans, était la créature de Frankenstein créée et soutenue par Washington, le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale, avec la complicité du Quai d’Orsay.

Mobutu fut enfin renversé en 1997. Cette « libération », cependant, ne déboucha que sur des interventions étrangères et sur une interminable guerre civile dont l’agence Usaid estima le nombre de victimes à 3 millions (pour la plupart mortes de faim ou de maladie) en 2004. La rapine commise par les armées en maraude dans l’est du Congo – rappelant des scènes de la guerre de Trente Ans en Europe – entraîna de nouveaux afflux de réfugiés dans les bidonvilles déjà surpeuplés de Kinshasa.

Face à la mort de la cité formelle et de ses institutions, les Kinois ordinaires – et surtout les mères et les grand-mères – se battirent pour leur survie en « villagisant » Kinshasa : ils rétablirent l’agriculture de subsistance et les formes traditionnelles d’entraide rurale. Chaque mètre carré de terre libre – rubans de séparation des voies d’autoroutes compris – fut mis à profit pour la culture du manioc, tandis que les femmes qui ne possédaient aucun bout de terrain, les mamas miteke, partirent glaner des racines et des fruits dans la brousse. Après les effondrements successifs du monde du travail puis de l’univers fantasmatique des jeux d’argent, les gens s’en remirent à la magie villageoise et aux cultes prophétiques. Ils cherchèrent à se guérir de la « maladie des Blancs », « yimbeefu kya mboonu » : la maladie mortelle de l’argent.


Terre Humaine

« Nous sommes suspendus entre solitude et fraternité. Chacun de nos actes vise à rompre notre isolement - notre condition d’orphelin - et à restaurer, fût-ce de façon précaire, notre union avec le monde et avec autrui. »

Octavio Paz

09 septembre 2006

PELERINAGE AU BIENHEUREUX MOYE 2007



Un pèlerinage tourné vers l’Extrême-Orient



La réunion de préparation du Pèlerinage au Bienheureux Jean Martin Moye 2007 aura lieu mercredi 13 septembre 2006 à 20 heures au presbytère du village. L’an prochain, le pèlerinage sera tourné vers l’Extrême-Orient ; en effet, après l’Inde et Madagascar, les organisateurs du pèlerinage qui, chaque année, réunit des religieuses de tous les continents, ont proposé de faire connaître le travail des filles de la Providence au Viet Nam, au Cambodge, à Taiwan, en Chine, aux Philippines… Parties de Portieux en 1876, six religieuses ont fondé des couvents, des écoles au Viet Nam et au-delà dans d’autres pays d’Asie. Aujourd’hui plus de 500 sœurs vietnamiennes travaillent auprès des plus pauvres non seulement dans leur pays mais également en Europe, en Afrique et en Amérique. Leur fondateur, le Bienheureux Jean Martin Moye, a vécu 10 ans dans la Province du Sichuan. « Dans cette France riche, déclare Charles Trompette, le maire du village, qui ferme ses portes aux miséreux du monde et expulse les enfants sans-papiers, les sœurs asiatiques offrent l’image d’une mondialisation humaine où les peuples dialoguent et les cultures s’enrichissent mutuellement. Ces pèlerinages et toutes les rencontres (récemment des religieuses d’Equateur, de Colombie, de Belgique et du Congo étaient venues au village) permettent d’échanger pour changer le monde en une terre humaine. »

03 septembre 2006

TH SEPTEMBRE 2006 : PARTAGE


PARTAGE
De l’aéroport de Roissy une religieuse africaine me téléphonait, avant de repartir dans son pays, et me glissait dans la conversation : « Les français méprisent les Noirs. »

Monsieur Stéphane Hessel, ambassadeur de France, analysant les situations de Saint-Bernard (août 1996, 6 heures du matin, 1500 gendarmes mobiles et CRS évacuaient de force 300 sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Bernard à Paris pour réclamer leur régularisation) et de Cachan (17 août 2006, 6 heures du matin : les forces de l’ordre évacuaient manu militari 508 personnes d’une ancienne résidence universitaire à Cachan, considérée comme le plus grand squat de France) retrouve dans les deux cas « le même mépris du gouvernement face aux immigrés. »

Monsieur Youssouf Toumkara, ancien de Saint-Bernard regrette : « On a fait une terrible erreur en 1996. Nous avions pensé que la lutte des sans-papiers se gagnerait avec des arguments humanitaires » tels que la scolarisation des enfants, les soins médicaux… « La lutte n’est pas humanitaire mais politique. Nous aurions dû dénoncer davantage l’arbitraire et le mépris que connaissent les travailleurs immigrés. »


Dans le douloureux feuilleton des familles de sans-papiers, Monsieur Nicolas Sarkozy fait de la petite politique avec la vie de gens travaillant dur pour s’insérer en France, victimes plus que coupables de leur situation. Sous la pression, il doit régulariser des familles dont les enfants sont scolarisés ? Alors il équilibre la concession et fait évacuer un squat à Cachan. Ceux-là sont des pions dans une stratégie médiatique ? Tant pis pour eux…

Il faut régulariser tous les sans-papiers en leur accordant un titre de séjour de dix ans. L’Italie a régularisé 700.000 étrangers en 2003 et l’Espagne 600.000 en 2005. La France, patrie des Droits de l’Homme ne peut-elle pas accueillir dignement les 30.000 familles de sans papiers dont les enfants sont scolarisés ?
Nous vivons dans une Europe riche, très riche ; rien n’arrêtera l’océan des miséreux, ni mur, ni charter, ni loi… La planète est devenue, depuis longtemps, un village ; il est temps de commencer à partager la richesse entre tous les villageois.

Charles Trompette

Afghanistan : l’école interdite aux filles

Bien que ses élèves soient en vacances d’été, Nazirullah, le principal de la section des filles de l’école primaire de Mashakrel, est revenu dans sa classe pour consigner les résultats des examens de fin d’année. Accroupi à même le sol au milieu des papiers brûlés et des murs noircis, il s’applique à reporter les notes. Il y a deux mois, des hommes masqués sympathisant des talibans ont mis le feu à cette école qui accueille 760 enfants, des garçons le matin, des filles l’après-midi. Ils ont brisé les vitres, arraché les portes et les tableaux noirs puis mis le feu aux bâtiments. Sur le sol, on a retrouvé des tracts de mise en garde : les talibans pyromanes promettaient de défigurer les professeurs qui continueraient à faire la classe aux filles.
Cette école fait partie des trois cents qui, dans les six derniers mois, ont été attaquées par les talibans. Car même s’ils ont été chassés du pouvoir à Kaboul, les intégristes sont manifestement restés fidèles à leurs obsessions, parmi lesquelles l’interdiction de l’éducation des filles.
Dans un village de la province de Ghazni, l’instituteur est déjà allé négocier avec les talibans. Pour garantir la sécurité de son école, il s’est engagé à ne pas y accueillir de filles…
Sara Daniel

La rue et l’indifférence tuent…


On les appelle pauvres, laissés-pour-compte, indigents, miséreux. Mais qui sont-ils ? De quoi vivent-ils ? Depuis bien avant la Révolution française jusqu’à nos jours, ils sont là. Du paupérisme à l’insécurité sociale, leurs existences restent privées d’une vie digne. Pour quelles raisons ? Absence de travail, salaire trop faible, discrimination, aléas de la vie. Ils souffrent dans leur corps d’une existence dure et précaire. « Vagabond », « tiers état », « prolétaire », « chômeur », l’individu pauvre connaît ces différentes conditions. Face à elles la société apparaît hésitante entre charité et répression, assistance et culpabilisation. L’histoire des gens de peu devient aussi celle des grandes révoltes populaires, des acquis (relatifs) et des progrès (modestes). Mais demeurent toujours l’indifférence, la gêne, quand ce n’est pas la peur, et l’égoïsme collectif. Engrenage de la déshumanisation qui s’achève par la mort des sans domicile fixe sur un trottoir, à l’hôpital, dans un squat, dans un foyer d’hébergement… Sans parler de ceux qui succombent à une mort violente : crise d’épilepsie, écrasé par une voiture, suicide, assassinat. Ou, à, l’inverse, de ceux qui dépriment lentement : épuisement, alcoolisme, problèmes respiratoires, sida, gangrène, cancer, diabète… En France, on meurt toujours de pauvreté. La rue tue, été comme hiver. L’indifférence tue, elle aussi.

Silence autour de ces décès. Comme si la mort des pauvres voulait se faire oublier, se désacraliser. Car les SDF finissent leur vie, pour la plupart, dans une fosse commune sans funérailles, sans âge, sans identité. Ainsi, le vagabond désocialisé jusque dans la mort, ne laisse pas de trace. Or, s’il meurt seul, il meurt dans le seul espace qui lui reste, l’espace public, donc, de manière visible. La société veut effacer ce corps dérangeant nos perceptions.

A trop insister sur leur désir de disparaître ou sur leur tendance à l’autodestruction, on risque d’oublier que c’est la société qui voudrait bien les voir disparaître et s’y emploie de mille manières, sans le vouloir évidemment.




Terre Humaine


J’ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines
Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer ?
La cour en conseillers foisonne :
Est-il besoin d’exécuter ?
L’on ne rencontre plus personne.

Conseil tenu par les rats.
Jean de La Fontaine