Terre Humaine

19 mars 2007

TH FEVRIER 2007



Urgence



En 1972, le premier rapport du Club de Rome, réalisé par le Massachusetts Institute of Technology intitulé « Halte à la croissance ? » pointait les dangers écologiques de la croissance économique et démographique. Aujourd’hui, après Malthus (1798), Ricardo (1817), Sico Mansholt et Bertrand de Jouvenel (au XXe siècle), nombreux sont les esprits à prôner une politique de décroissance soutenable.
Est-ce la renaissance d’une utopie ? Les hommes peuvent-ils continuer encore longtemps à polluer l’atmosphère, à abattre les arbres, à pomper le pétrole, à détourner les fleuves sans mettre en péril leur existence même ? Le monde occidental parait s’éveiller à ces questions qu’il a trop longtemps refusé de se poser. L’histoire de l’humanité nous montre comment des civilisations qui se croyaient éternelles ont disparu pour n’avoir pas su respecter l’environnement.
Alors pour faire face à la menace, le monde occidental a inventé le développement durable qui concilie croissance et protection de l’environnement. Mais la croissance propre, la croissance soutenable, comme le développement durable, sont des oxymores, c'est-à-dire une juxtaposition de deux mots contradictoires. Le responsable du développement durable n’est pas là pour nous sauver la planète, mais pour faire en sorte que l’entreprise respecte les nouvelles normes de qualité et d’environnement. Et pour éviter les conflits sociaux ou les polémiques avec les consommateurs. Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l’espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l’épuisement des ressources naturelles.
On ne peut plus nier la fonte des glaces polaires, des sols gelés du Groenland ou celle des neiges éternelles du Kilimandjaro, ni la hausse du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère, l’épuisement des réserves de pétrole, la disparition de milliers d’espèces, la pollution des sols et des fleuves. Ni que la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique a atteint une épaisseur minimale record. Et voici les premiers « réfugiés climatiques » qui se mettent en marche, fuyant la sécheresse grandissante, la montée des eaux, la pollution des puits, le sol dégelé qui se dérobe sous leurs maisons.
Le citoyen de la planète doit définir les voies par lesquelles il peut d’ores et déjà peser, afin que, dans un avenir que nous écrirons tous, le monde soit durable et moins inéquitable aux pauvres et démunis.
Il est urgent d’arrêter la croissance qui détruit. Il est urgent de ne plus croire à l’illusion du développement durable. Il est urgent de ne plus continuer comme maintenant.

Charles Trompette




Petite enfance et école publique
L’école publique a beau avoir multiplié ses effectifs, elle est devenue quasiment impuissante devant le phénomène qui cause l’inégalité la plus massive : les enfants de familles pauvres ont moins de chances de grimper l’échelle sociale que les enfants de familles riches. Un économiste danois nous confirme que tout se joue dans la petite enfance, quand se déterminent les « capacités » des enfants. C’est là qu’il faut agir.

Pauvres enfants de la patrie…
Vivre avec moins de 700 euros par mois, c’est le sort de 7 millions de personnes en France. (En Afrique, la moitié de la population vit avec moins de 365 euros par an.) Les plus fragilisés ? Les enfants. Deux millions d’enfants pauvres en France ! Un chiffre qui risque d’augmenter encore. Par ailleurs, beaucoup de gens vivent autour de ce seuil dans « un halo de pauvreté ». La pauvreté s’est féminisée. 80% des travailleurs pauvres, avec un emploi à temps partiel subi, sont des femmes. Elles vivent souvent dans un foyer monoparental. La pauvreté laborieuse du XIXe siècle est revenue et croise la pauvreté liée au chômage. La plupart des enfants vivent en milieu urbain. Leur pauvreté ne se voit pas forcément. Ils ont autant de dignité que les adultes, donc ils vont cacher leur état, vouloir être comme les autres. Ces enfants sont ceux de la femme de ménage qui nettoie les bureaux, ceux de la caissière qui vous rend la monnaie. Des gens qu’on côtoie tous les jours sans savoir que leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles.
La famille d’un enfant pauvre a entre 5 à 10 euros par jour et par personne pour se nourrir, se déplacer, se vêtir… Les gens qui fréquentent les Restos du Cœur sont de plus en plus nombreux. Ils ne crèvent pas de faim, on ne meurt plus de faim en France. Mais un colis alimentaire permet d’économiser quelques euros pour une autre dépense : pour ces enfants, remplacer un compas cassé, acheter un livre peut être un énorme problème.
Les enfants pauvres ont autant de risques que les autres enfants d’avoir besoin de lunettes mais moins de chances d’en acheter. Autant de réticences que les autres enfants à se laver les dents mais leurs caries ont moins de chances d’être soignées… Il y a aussi des troubles spécifiques : le saturnisme, les maladies dues à une mauvaise alimentation, les mauvais traitements qui existent dans tous les milieux mais qui sont exacerbés par la misère.


Enfant : le droit à la parole

L’enfance, pour nous, c’était l’attendrissement, l’avenir, l’innocence, c’était le fameux « cercle de famille » du père Hugo, qui « applaudit à grands cris » la chère tête blonde.
Mais l’idylle s’est évanouie. Dans nos régions prétendues développées, bien des enfants, abandonnés à eux-mêmes, sont à la dérive : petits délinquants et petites victimes. Mais dans les pays qu’on dit pudiquement « en voie de développement », c’est la catastrophe. Des millions d’enfants sont affamés, malades, atteints dans leur chair et dans leur esprit, transformés en bagnards pour que survivent des économies de misère, plongés dans la délinquance et la prostitution, aliénés de leur enfance même, ce temps qui devrait être celui de l’insouciance heureuse. Les millions d’enfants du tiers et du quart-monde nous accusent. Mais ils nous accusent en silence et, curieusement, leur nom en français le dit tout net. Infans, passé du latin dans l’ancienne langue, ce n’est pas « le jeune », « le petit ou la petite », ni « l’innocent », qui veut dire « celui qui est incapable de nuire », non, c’est « celui qui ne parle pas ». In- négatif, et fans, du verbe fari, « parler ». L’infans, à l’origine, c’est celui qui ne parle pas encore.
Aujourd’hui, l’enfant parle, mais on dirait que le mot se venge : oui, les enfants du monde entier savent parler, en une multitude de langues, mais ils ont rarement droit à la parole.
L’école, parfois, donne la parole aux enfants, mais ceux dont il est question ne vont pas à l’école. Epuisés, malades, ils ne peuvent que gémir et pleurer ; enrôlés de force par la guerre, ils hurlent, ils meurent, parfois, ils tuent, en riant ; ou bien, écrasés de travail, ils se taisent.
Pour une fois que la loi du silence est brisée, vous m’excuserez si mon petit droit à la parole prend la forme d’un coup de gueule. Donnons la parole à l’infans, pour qu’il redécouvre l’enfance.
Alain Rey


Terre Humaine
Réveille-toi avec la lumière dans les yeux.
Dis les choses avec la lumière dans les livres.
Marche vers le monde avec tout la lumière du passé.

Fabricio Estrada