Terre Humaine

19 mars 2007

TH MARS 2007 : LE BRESIL EST EN GUERRE



Le Brésil est en guerre



« Et dans ton pays, il y a aussi la guerre ? » me demande Romario, garçon de 10 ans habitant la Comunidade (mot noble pour favela) da Pedreira dans le quartier de Pavuna, de la Baixada Fluminence, immense banlieue noire, pauvre et violente de Rio de Janeiro.
Aujourd’hui encore me hantent les cauchemars de favelas violentes et miséreuses : tir d’armes automatiques, balles perdues, trafiquants armés vendant la drogue dans les ruelles, rues coupées par des gravats, des rochers, des troncs d’arbre pour empêcher la circulation de la police, gamins équipés de talkie-walkie surveillant l’entrée de la favela et annonçant l’arrivée d’étrangers, conversation à voix basse racontant drogue et assassinat…
Aujourd’hui comme hier, la violence et le crime sont le quotidien des favelas. Aujourd’hui plus qu’hier, je ne sais. Mais l’enfant estime vivre dans un pays en guerre. Les morts violentes sont plus nombreuses chaque jour au Brésil qu’en Irak. 50.000 meurtres par an. Le Brésil est bien en guerre. Une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre qui n’intéresse pas les média de la planète et ne sert qu’à faire les gros titres des journaux brésiliens à sensation.
Le trafic de drogue est florissant et très lucratif. Il est facile d’y prendre part : sans éducation, désoeuvrés, les jeunes cèdent à la tentation. Des milices parapolicières, formées de policiers, de pompiers, et de gardiens de prison prétendent expulser les criminels des favelas. Elles contrôleraient déjà une centaine des 650 bidonvilles de Rio de Janeiro. Elles affrontent les gangs de trafiquants, défient les forces de l’ordre et imposent leur loi. Elles deviennent à leur tour une mafia, un pouvoir parallèle. Elles extorquent de l’argent aux favelados, notamment aux petits commerçants installés dans les ruelles tortueuses et aux vendeurs de bombonnes de gaz.
Sortir de cette violence ? La seule issue : l’Education. Un combat, sans violence, que mène essentiellement la femme brésilienne.
En attendant Godot…, carnaval et tragédie avancent main dans la main. Quand la mort rôde, et que tout devient incertain, la fuite dans la fête s’intensifie.

Charles Trompette



La comunidade en résistance


Les enfants de l’école de Tingua viennent de la rue et des favelas. La vie dans la favela est un entre-deux permanent entre la violence et la fête, la joie de vivre et la mort qui peut frapper à tout moment.

« A l’intérieur même de notre pays, il y a de très nombreux préjugés non seulement sur la vie dans la favela mais également sur tous ceux qui y vivent. Pour la majorité, la favela, c’est la drogue et la violence. Bien sûr, cela est présent mais il y a aussi des gens qui luttent, qui résistent avec un très grand potentiel. » Renata

« La favela est joyeuse et triste à la fois. Il y a des moments où l’on s’amuse dans la rue et les gens des gangs ou la police viennent nous menacer… » Romario

« Même s’il y a de la drogue et de la violence, il y a dans la favela des gens honnêtes, courageux, travailleurs. La police devrait protéger les plus pauvres au lieu de nous assimiler tous à des trafiquants. » Fabio

« Dans la favela, il y a beaucoup de violence et de gens qui souffrent. On est toujours en train de lutter pour montrer à tout le monde notre résistance et nos potentialités. » Daniela

« La favela, ce sont des femmes et des hommes qui se battent tous les jours pour avoir de quoi manger le lendemain. C’est la lutte quotidienne du peuple pour vivre décemment. » Cleonis

« Malgré la violence, la vie dans la favela est joyeuse et belle. » Deivson

« Il y a la joie, la tristesse, les difficultés et des barrières à faire tomber. Pour moi la vie dans la favela, c’est la résistance. » Elein

« La favela, c’est la dureté de la vie. Et les mères qui ne savent pas ce qu’elles vont donner à manger à leurs enfants le lendemain. Et malgré ces difficultés, les gens qui vivent là, résistent et luttent pour s’en sortir. » Flapinho

« Le processus pédagogique est long, précise Nubia. Il y a en premier lieu une réponse immédiate : l’adolescent commence à prendre goût aux actions que nous proposons et va laisser tomber peu à peu la drogue, les gangs, etc. Puis il y a une deuxième étape, plus longue à se dessiner. Au bout d’un certain temps, ces enfants apprennent à relever la tête. Ce n’est pas seulement une image. Ils ont eu jusqu’alors une vie difficile où, depuis tout petits, ils ont passé leur temps à récupérer les cartons, les détritus. A baisser la tête. Ils la relèvent maintenant et commencent à pouvoir parler en regardant les gens dans les yeux : ils se projettent vers le futur. Enfin, il y a les plus anciens qui deviennent à leur tour des formateurs, des professeurs. Ils deviennent des « passeurs », au sens où ils vont retransmettre ce qu’ils ont appris. Mais l’objectif le plus immédiat et concret reste dans la plupart des cas la préservation de la vie, car la mort est toujours très proche dans le milieu où ils vivent. »


Un autre Brésil : la ferme la plus grande du monde.


Quelle est cette ligne sur la carte du Brésil qui, chaque année se déplace vers les quatre points cardinaux ? C’est la ferme la plus grande du monde, et qui continue à grandir. Cette progression a quelque chose de militaire. On dirait une armée en marche, poussée par toute une nation. Et la frontière, cette frontière perpétuellement nouvelle, devient front lorsque les pionniers défricheurs arrivent à l’extrémité de la savane et commencent à s’attaquer aux grands arbres. La forêt amazonienne est la première réserve de biodiversité de la planète (le cinquième des espèces de plantes, le cinquième des espèces d’oiseaux, le dixième des espèces de mammifères). Et, plus vaste forêt du monde, elle freine les progrès de l’effet de serre. Dans ces conditions, à qui appartient la forêt amazonienne, richesse essentielle à la survie générale de l’humanité ?


Terre Humaine
« Le droit de l’enfant c’est d’être un homme ; ce qui fait l’homme, c’est la lumière ; ce qui fait la lumière, c’est l’instruction. Donc le droit de l’enfant, c’est l’instruction gratuite obligatoire. »
Victor Hugo. 1849



TH FEVRIER 2007



Urgence



En 1972, le premier rapport du Club de Rome, réalisé par le Massachusetts Institute of Technology intitulé « Halte à la croissance ? » pointait les dangers écologiques de la croissance économique et démographique. Aujourd’hui, après Malthus (1798), Ricardo (1817), Sico Mansholt et Bertrand de Jouvenel (au XXe siècle), nombreux sont les esprits à prôner une politique de décroissance soutenable.
Est-ce la renaissance d’une utopie ? Les hommes peuvent-ils continuer encore longtemps à polluer l’atmosphère, à abattre les arbres, à pomper le pétrole, à détourner les fleuves sans mettre en péril leur existence même ? Le monde occidental parait s’éveiller à ces questions qu’il a trop longtemps refusé de se poser. L’histoire de l’humanité nous montre comment des civilisations qui se croyaient éternelles ont disparu pour n’avoir pas su respecter l’environnement.
Alors pour faire face à la menace, le monde occidental a inventé le développement durable qui concilie croissance et protection de l’environnement. Mais la croissance propre, la croissance soutenable, comme le développement durable, sont des oxymores, c'est-à-dire une juxtaposition de deux mots contradictoires. Le responsable du développement durable n’est pas là pour nous sauver la planète, mais pour faire en sorte que l’entreprise respecte les nouvelles normes de qualité et d’environnement. Et pour éviter les conflits sociaux ou les polémiques avec les consommateurs. Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l’espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l’épuisement des ressources naturelles.
On ne peut plus nier la fonte des glaces polaires, des sols gelés du Groenland ou celle des neiges éternelles du Kilimandjaro, ni la hausse du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère, l’épuisement des réserves de pétrole, la disparition de milliers d’espèces, la pollution des sols et des fleuves. Ni que la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique a atteint une épaisseur minimale record. Et voici les premiers « réfugiés climatiques » qui se mettent en marche, fuyant la sécheresse grandissante, la montée des eaux, la pollution des puits, le sol dégelé qui se dérobe sous leurs maisons.
Le citoyen de la planète doit définir les voies par lesquelles il peut d’ores et déjà peser, afin que, dans un avenir que nous écrirons tous, le monde soit durable et moins inéquitable aux pauvres et démunis.
Il est urgent d’arrêter la croissance qui détruit. Il est urgent de ne plus croire à l’illusion du développement durable. Il est urgent de ne plus continuer comme maintenant.

Charles Trompette




Petite enfance et école publique
L’école publique a beau avoir multiplié ses effectifs, elle est devenue quasiment impuissante devant le phénomène qui cause l’inégalité la plus massive : les enfants de familles pauvres ont moins de chances de grimper l’échelle sociale que les enfants de familles riches. Un économiste danois nous confirme que tout se joue dans la petite enfance, quand se déterminent les « capacités » des enfants. C’est là qu’il faut agir.

Pauvres enfants de la patrie…
Vivre avec moins de 700 euros par mois, c’est le sort de 7 millions de personnes en France. (En Afrique, la moitié de la population vit avec moins de 365 euros par an.) Les plus fragilisés ? Les enfants. Deux millions d’enfants pauvres en France ! Un chiffre qui risque d’augmenter encore. Par ailleurs, beaucoup de gens vivent autour de ce seuil dans « un halo de pauvreté ». La pauvreté s’est féminisée. 80% des travailleurs pauvres, avec un emploi à temps partiel subi, sont des femmes. Elles vivent souvent dans un foyer monoparental. La pauvreté laborieuse du XIXe siècle est revenue et croise la pauvreté liée au chômage. La plupart des enfants vivent en milieu urbain. Leur pauvreté ne se voit pas forcément. Ils ont autant de dignité que les adultes, donc ils vont cacher leur état, vouloir être comme les autres. Ces enfants sont ceux de la femme de ménage qui nettoie les bureaux, ceux de la caissière qui vous rend la monnaie. Des gens qu’on côtoie tous les jours sans savoir que leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles.
La famille d’un enfant pauvre a entre 5 à 10 euros par jour et par personne pour se nourrir, se déplacer, se vêtir… Les gens qui fréquentent les Restos du Cœur sont de plus en plus nombreux. Ils ne crèvent pas de faim, on ne meurt plus de faim en France. Mais un colis alimentaire permet d’économiser quelques euros pour une autre dépense : pour ces enfants, remplacer un compas cassé, acheter un livre peut être un énorme problème.
Les enfants pauvres ont autant de risques que les autres enfants d’avoir besoin de lunettes mais moins de chances d’en acheter. Autant de réticences que les autres enfants à se laver les dents mais leurs caries ont moins de chances d’être soignées… Il y a aussi des troubles spécifiques : le saturnisme, les maladies dues à une mauvaise alimentation, les mauvais traitements qui existent dans tous les milieux mais qui sont exacerbés par la misère.


Enfant : le droit à la parole

L’enfance, pour nous, c’était l’attendrissement, l’avenir, l’innocence, c’était le fameux « cercle de famille » du père Hugo, qui « applaudit à grands cris » la chère tête blonde.
Mais l’idylle s’est évanouie. Dans nos régions prétendues développées, bien des enfants, abandonnés à eux-mêmes, sont à la dérive : petits délinquants et petites victimes. Mais dans les pays qu’on dit pudiquement « en voie de développement », c’est la catastrophe. Des millions d’enfants sont affamés, malades, atteints dans leur chair et dans leur esprit, transformés en bagnards pour que survivent des économies de misère, plongés dans la délinquance et la prostitution, aliénés de leur enfance même, ce temps qui devrait être celui de l’insouciance heureuse. Les millions d’enfants du tiers et du quart-monde nous accusent. Mais ils nous accusent en silence et, curieusement, leur nom en français le dit tout net. Infans, passé du latin dans l’ancienne langue, ce n’est pas « le jeune », « le petit ou la petite », ni « l’innocent », qui veut dire « celui qui est incapable de nuire », non, c’est « celui qui ne parle pas ». In- négatif, et fans, du verbe fari, « parler ». L’infans, à l’origine, c’est celui qui ne parle pas encore.
Aujourd’hui, l’enfant parle, mais on dirait que le mot se venge : oui, les enfants du monde entier savent parler, en une multitude de langues, mais ils ont rarement droit à la parole.
L’école, parfois, donne la parole aux enfants, mais ceux dont il est question ne vont pas à l’école. Epuisés, malades, ils ne peuvent que gémir et pleurer ; enrôlés de force par la guerre, ils hurlent, ils meurent, parfois, ils tuent, en riant ; ou bien, écrasés de travail, ils se taisent.
Pour une fois que la loi du silence est brisée, vous m’excuserez si mon petit droit à la parole prend la forme d’un coup de gueule. Donnons la parole à l’infans, pour qu’il redécouvre l’enfance.
Alain Rey


Terre Humaine
Réveille-toi avec la lumière dans les yeux.
Dis les choses avec la lumière dans les livres.
Marche vers le monde avec tout la lumière du passé.

Fabricio Estrada

TH JANVIER 2007



Migration : l’exil ou la mort.



Rien n’interrompt le flux des réfugiés qui errent dans les rues de Calais et qui finissent par s’infiltrer dans un ferry pour la Grande-Bretagne : ni les arrestations musclées ni la destruction des abris par les bulldozers encadrés de CRS.
Rien n’arrête les milliers d’Africains qui quittent leur pays pour rejoindre l’Europe. Beaucoup disparaissent en mer ou meurent dans le désert. « Mieux vaut mourir que rester pauvre toute sa vie. »
Elles sont chaque année 100 millions à tenter leur chance à l’étranger. Les femmes représentent désormais la moitié des migrants du monde.
Une fois parties, les femmes font vivre des familles entières grâce aux fonds qu’elles font parvenir à leurs proches restés au pays. Des 230 milliards de dollars envoyés en 2005, elles en assument une grande part. Elles envoient une plus forte proportion de leurs gains que les hommes. Cet argent sert à nourrir des ventres affamés, à habiller et à éduquer des enfants, à fournir des soins de santé, à améliorer le niveau de vie des êtres chers qu’elles ont laissés derrière elles.
La migration des femmes, dont beaucoup ont été formées à des métiers sanitaires et sociaux, pèse lourdement sur les pays d’origine. Le départ massif d’infirmières, de sages-femmes et de médecins des pays pauvres vers les pays riches est l’un des problèmes les plus difficiles que pose aujourd’hui la migration internationale. En 2003, 85% des infirmières philippines travaillaient à l’étranger.
Pour l’Afrique, qui vacille sous le poids des maladies infectieuses, cet exode est un véritable drame : tous les ans, 20.000 infirmières et médecins formés à grands frais par les pays africains quittent leur région natale.
Combien d’êtres humaines échouent dans des ghettos aux portes de la paradisiaque Europe, combien meurent dans le désert, combien disparaissent dans les flots pour satisfaire un rêve de liberté, nourrir une famille ? Qui leur dira qu’il n’y a rien, derrière le miroir, qu’humiliation et pauvreté ? Quand cessera cette hémorragie qui vide le Tiers-Monde de ses forces vives pour gonfler les rangs des clandestins en Europe et les poches des mafias et des exploiteurs ?


Charles Trompette



Hans Küng : l’autre cerveau de l’Eglise

Le dialogue des religions est devenu sa drogue. C’est, pour lui, le radeau de survie de l’humanité. Küng est régulièrement à Berlin, Moscou, Téhéran, Riyad, New York, Pékin, Séoul, Mexico, pour développer son projet d’ethos planétaire, ses applications à la science, à l’armement, à la technologie, aux religions. Il est sévère avec les trois monothéismes également rivés au « paradigme médiéval » : le catholicisme avec sa papauté et son système clérical ; le judaïsme orthodoxe avec son étroit système rabbinique ; l’islam avec sa charia. Le monde ira mieux quand ces religions auront atteint le « paradigme de l’âge moderne ». C’est possible, plaide Küng, qui cite les grandes réconciliations de l’histoire – France et Allemagne, Afrique du Sud – et les nouveaux prophètes : Gandhi, Luther King, Tutu, etc.


L’intérieur de la nuit
De son point de vue, la vie entière des Africains se passait à échapper à la mort. Ils ne semblaient même pas se rendre compte qu’elle les environnait. Elle était dans les cours d’eau au fond desquels proliféraient des vers. Ces derniers causaient des ulcères qui rongeaient les chairs des enfants. Elle était dans l’eau de boisson, dans les mares qui stagnaient aux abords des habitations, envoyant des nuées de moustiques couvrir le monde à la nuit tombée. La mort était partout dans l’ignorance des populations. La mort avait fait de l’Afrique son royaume. Il suffisait de voir les nuées de mouches qui couvraient de leur ombre des territoires entiers pour n’en pas douter, la mouche étant gardienne de la mort. Elle s’incarnait dans les chefs. Elle prenait forme humaine, tenait le chasse-mouches, arborait la chéchia en peau de panthère, et sévissait tout son soûl.
Tuer le père n’était pas envisageable dans ces parages, et les patriarches jouissaient du pouvoir suprême. C’était pour cela qu’ils étaient tous prêts à tout. Pour tenir dans leurs mains la puissance de celui qui dirait la loi. Celui que nul ne jugerait jamais. Père de la nation. Père de la révolution. Père fondateur. Grand libérateur. Celui qui jadis se déplaçait à dos d’hommes et qui disposait désormais de berlines climatisées et d’un avion personnel. Celui dont les serviteurs étaient jadis enterrés vivants et qui faisait aujourd’hui vivre son peuple dans les souterrains du manque et de l’obscurantisme.
Léonora Miano

Les mères meilleures que les pères
Quand les femmes ont droit à la parole, la part du budget consacré à la santé et à l’éducation augmente.

Une enquête menée dans trois régions du monde (Amérique latine/Caraïbes, Asie du Sud et Afrique subsaharienne) établit un lien très clair entre la nourriture dont disposent les enfants et le pouvoir de décision des mères. Les chercheurs ont calculé que si les hommes, en Asie du Sud, partageaient avec leur épouse le pouvoir de décision économique, le nombre d’enfants de moins de 3 ans sous-alimentés pourrait être réduit de 13%, soit 13,4 millions d’enfants.
Le pouvoir aux femmes ? L’économiste Muhammad Yunus, qui vient de se voir attribuer le prix Nobel de la paix, a déjà mis cette thèse en application : parmi les habitants du Bangladesh auxquels sa banque, la Grameen Banck, a prêté de l’argent, 96% sont des femmes car, dit-il, « les femmes ont un meilleur comportement économique. »



Terre Humaine
Bénis soient ceux qui disent non, car le royaume de la terre devrait leur appartenir. Le royaume de la terre appartient à ceux qui ont le talent de mettre le « non » au service du « oui ».
José Saramago


Vœux pour 2007
Rends-moi plus opulent dans le don pour égaler de ce qui est fécond, pour que le cœur et la pensée deviennent vastes comme le monde ! Et que toutes ces activités ne parviennent pas à me fatiguer. Que les grandes prodigalités viennent de moi sans jamais s’épuiser.
Tels sont pour vous les vœux de Gabriela Mistral et de l’équipe de Terre Humaine pour 2007.

TH NOVEMBRE/DECEMBRE 2006


ADEQUATION



Quand un lycée décide de collecter des livres usagés, de les envoyer dans un pays dont le français n’est plus depuis fort longtemps la langue officielle…

Quand un fonctionnaire de l’Unesco conseille à des étudiants de Sciences-Po en France d’envoyer au Mali de vieux exemplaires d’un journal local…

Quand une municipalité récupère les vieux vélos, les répare, et les envoie annuellement au Burkina-Faso…

Quand une autre y expédie ses autobus hors d’usage…

Quand une région prétend aider l’Afrique en y envoyant de jeunes volontaires « pour mener des actions porteuses de changement social et de développement durable »…

… alors que, par milliers, les Africains, les plus dynamiques, quittent leurs contrées, viennent en clandestin travailler en Europe.

Pour un véritable développement, il serait plutôt souhaitable que cette région qui alloue 12.000 euros par an et par jeune volontaire français consacre cette somme à financer les salaires de professeurs africains : ceux-ci sont plus adaptés à la réalité que ceux-là.

Aujourd’hui, il y a plus de médecins béninois qui exercent en Ile-de-France qu’au Bénin. Ils ont été formés dans leur pays et soignent les malades français. C’est ce que certains appellent l’immigration choisie. Vingt mille professionnels de la santé émigrent chaque année du continent africain vers l’Europe ou l’Amérique du Nord.

Il est de toute première urgence que nous n’envisagions plus la coopération avec les pays du Tiers Monde en fonction de nos déchets, rebuts à évacuer, de nos besoins d’aventure et d’exotisme, mais que notre aide massive soit en adéquation, avec les véritables nécessités des peuples de la faim : formation, santé…

Il importe que cette aide soit massive et que les éternelles promesses soient un jour tenues. Le 2 octobre 1970, les pays riches s’étaient engagés à consacrer 0,70% de leur PIB à l’aide au Tiers-Monde. En 2006, ils n’en versent que 0,22%.



Charles Trompette



Quand les femmes auront disparu


100.000.000 femmes manquent en Asie. 36.000.000 en Inde, au moins autant en Chine et plusieurs millions d’autres dans le reste de l’Asie. Au regard du nombre d’habitants sur terre (6,5 milliards), cette brèche démographique peut apparaître mineure. Pourtant, c’est comme si un pays comme le Mexique avait été presque entièrement vidé de ses habitants.

« Naître fille en Inde est une malédiction ; aujourd’hui, c’est presque un miracle. »
Aujourd’hui encore, en Inde on élimine, à la naissance les « indésirables », les bébés de sexe féminin. Dans ce pays, depuis toujours la préférence va aux garçons. Seul un garçon garantit la pérennité du nom et des biens de la famille et soutient ses parents dans les vieux jours. Une fille est un être sans valeur, dont la naissance est vécue comme une honte. Elle est aussi celle pour qui il faut payer la dot, une coutume ruineuse. Officiellement interdite depuis 1961, la dot a toujours cours, notamment au sein des classes moyennes où un mariage peut coûter jusqu’à 28.000 euros alors que le salaire mensuel moyen n’est que de 160 euros. C’est pourquoi dès leur naissance, les filles font l’objet de moins d’attentions : elles sont moins nourries et moins soignées que les garçons d’où leur taux de mortalité infantile anormalement élevé.
Jugées inutiles, certaines de ces petites filles sont aussi vendues par leur famille à des exploiteurs de main-d’œuvre enfantine, voire à des réseaux de prostitution. La presse locale évoque régulièrement des faits divers comme des fillettes cédées en remboursement d’une dette ou contre de la nourriture. Dans l’Etat indien de l’Orissa, une fillette a été vendue par son père contre quatre kilos de riz.

« Elever une fille revient à arroser le jardin du voisin, ça ne sert à rien »
Puisqu’elles ne servent à rien, pourquoi les envoyer à l’école ? Inutile de payer des fournitures scolaires car ce qu’elles apprendront ne profitera pas aux siens, mais à sa future belle-famille, ainsi raisonne la société indienne.
Par conséquent, l’Asie compte un grand nombre de femmes analphabètes, ce qui les rend dépendantes des hommes. Elles ne peuvent travailler, faire des démarches ou voyager seules et encore moins revendiquer leur autonomie. Maintenir les femmes dans l’analphabétisme est un des outils du patriarcat. Maintenir les femmes dans la pauvreté est un autre moyen de les dominer.
Les femmes ont été élevées dans une telle situation d’infériorité que ce sont souvent elles qui défendent le plus ardemment la sélection des naissances. Pour elles, avoir un garçon est le seul moyen d’acquérir le respect de leur mari et de leur entourage. « Si, une mère ne tue pas sa fille qui vient de naître, elle devient l’étrangère, elle est exclue de la communauté », explique le docteur Chezhian.

« Payez 500 roupies aujourd’hui, vous n’aurez pas à payer 50.000 demain. »
Le récent développement de l’échographie accentue encore le phénomène. La loi interdisant la sélection des naissances a été promulguée il y a dix ans, mais elle reste mal appliquée. En fait, l’ensemble de la société est complice parce qu’elle est unanime sur le fait qu’élever une fille est une perte. L’avortement sélectif est devenu un marché clandestin, et très lucratif : il y a 6 millions d’avortements par an en Inde, et 90% sont effectués sur des fœtus féminins.

« Bachelor village »
Au Pakistan voisin, pays où un tiers de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, ce ne sont pas les coutumes ou les croyances qui conduisent les mères à tuer leurs enfants, c’est la misère. Ici, les nouveaux-nés de sexe féminin ne sont pas empoisonnés mais tout simplement jetés dans les décharges.
Aujourd’hui, on parle de « bachelor village », des villages de célibataires. Arif a trois frères, tous les quatre ont plus de 25 ans. Un seul a trouvé une femme qui lui a donné un enfant… un fils. Arif et ses frères ne trouveront plus de femmes, à moins de partir en acheter une dans une autre région. Pour s’occuper, les hommes du village se rassemblent dans les cafés, regardent, songeurs, à la télévision, les clips vidéos où les stars de Bollywood prônent les joies de l’amour, tandis qu’eux, attendent, jouent, tombent dans l’alcool et la violence.

En Chine, la politique de l’enfant unique a aussi eu pour conséquence l’élimination massive des petites filles. Ici, comme en Inde, l’avortement clandestin a désormais supplanté l’infanticide. D’ici quinze ans, la Chine devra gérer plus de 40 millions de célibataires qui ne trouveront jamais de femme pour fonder une famille… parce qu’elles ne seront pas nées. Ce pan de la société sera peut-être marginalisé ou enclin à plus de violence : à vrai dire, le comportement de ces laissés-pour-compte du mariage reste pour le moment assez imprévisible.


Terre Humaine


« Aujourd’hui, ma préoccupation principale est de donner aux autres ce que l’on m’a donné : l’accès à l’éducation et à l’autonomie. Je n’ai aucun mérite à faire ce que je fais. C’est quelque chose que je ressens profondément en moi. Je dois le faire, c’est tout. »
Graça Machel, épouse de Nelson Mandela